Il y a dix ans, le petit groupe de scientifiques thaïlandais de l’université Mahidol qui travaille à la mise au point d’un vaccin contre la dengue hémorragique pensait toucher au but. « Dans deux ou trois ans », disait alors le professeur Nath Bhamarapravati, l’un des experts mondiaux de la dengue. Ce vaccin contre une maladie transmise par le moustique Aedes Aegypti et qui infecte des centaines de milliers d’enfants chaque année en Asie du Sud-Est avec un taux de mortalité de 1 % aurait été le premier vaccin réalisé par un pays en voie de développement. Mais aujourd’hui, la longue quête d’un vaccin contre la dengue, entamée en 1980, s’éternise, entravée par des obstacles techniques et des régles internationales de plus en plus strictes. « Ce n’est pas facile pour moi. On me demande : Dr Suthi, est ce que vous dormez ? », confie Suthi Yoksan, le biologiste qui a pris la tête de l’équipe de recherche après le décès, il y a un an, du professeur Nath.
La dengue hémorragique, il est vrai, est un virus des plus versatiles et l’expertise des scientifiques thaïlandais n’est pas en cause. « L’idée géniale du professeur Nath était d’utiliser des souches sauvages, prendre une souche naturelle et la transformer », explique Jean-Paul Gonzalez, virologiste à l’Institut de Recherche pour le Développement. Au début des années 1980, Nath, travaillant étroitement avec l’Organisation Mondiale de la Santé, a isolé quatre souches différentes de dengue hémorragique et les a atténuées en les cultivant dans des cellules prélevées sur des reins de chiens. Il les a ensuite utilisées pour mettre au point quatre vaccins monovalents (qui agisse contre un des types de dengue hémorragique) puis les a combiné en un vaccin tétravalent (efficace contre les quatre souches virales) dont il a testé la non-toxicité et l’efficacité sur les adultes et les enfants.
En janvier 1992, Pasteur Mérieux (aujourd’hui Sanofi Pasteur) passe un accord avec l’équipe de Mahidol pour développer des lots pilotes à Lyon afin de vérifier que le vaccin reste stable lors d’une production industrielle. Tout semblait sur les rails. Puis les problèmes se sont accumulés : la découverte qu’un des vaccins monovalents – celui contre la dengue 3 – donne de la fièvre à certains enfants, l’adoption d’une méthodologie erronée pour résoudre ces effets secondaires… En 1999, le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) du gouvernement américain enfonce le clou en publiant un communiqué sur les effets secondaires du vaccin pour la dengue 3. « On en était à une phase très avancée du projet. Il y a eu un coup de frein terrible », indique Jean-Paul Gonzalez.
Entre-temps, des firmes américaines et européennes ont commencé à développer leur propre vaccin. L’Institut de Technologie de Californie veut, ainsi, utiliser le vaccin contre la fièvre jaune comme support pour un vaccin contre la dengue. L’OMS a commencé à moins s’intéresser au projet thaïlandais. Sanofi Pasteur a du reprendre à zéro les essais pour la dengue 3, et les projets concurrents de vaccins ont regagné du terrain. Certains pensent que le nombre de vies qu’aurait pu sauver le vaccin prototype doit trop souvent céder la priorité au respect intangible des règles internationales. « Le vaccin de Nath n’est pas parfait, mais il protégerait. Une fièvre, c’est inacceptable dans notre Occident. Mais ici, c’est acceptable car on connaît les enjeux », estime Jean-Paul Gonzalez. De son côté, le chef du projet Suthi Yoksan estime les effets secondaires encore trop importants. Il pense que si le problème de fièvre est résolu d’ici à deux ans, le vaccin tétravalent pourrait être sur le marché aux environs de 2.010. Les enjeux économiques sont énormes : la dengue frappe toutes les classes sociales mais s’attaquent plus particulièrement aux enfants bien nourris qui sont peu habitués à vivre dans un environnement tropical, comme les enfants d’expatriés. Les militaires en mission en Amérique Latine ou en Asie sont aussi une clientèle toute désignée. De son vivant, le professeur Nath a toujours insisté sur le fait que le prix du vaccin doit pouvoir être abordable pour les pays en voie de développement, une condition qu’a acceptée dès le départ Sanofi Pasteur. En attendant, la recherche continue, laborieuse et sujette au « carcan » des règles sanitaires internationales. « Si Fidel Castro était dans ce pays, nous aurions déjà le vaccin », pense Suthi Yoksan.
Arnaud Dubus (Libération)
Sunday, September 04, 2005
Saturday, September 03, 2005
Reportage dans le sud thaïlandais
Les profs bouddhistes dans le collimateur des insurgés du Sud Thaïlandais
Thira Songsuk, professeur à l’école Ba Ngoi Si Ne, dans la province thaïlandaise de Yala, ne se sépare plus de son arme à feu. Pour lui, c’est une simple question de survie : en 27 ans de carrière dans le sud profond à majorité musulmane du pays, cet instit charpenté comme un bûcheron dit n’avoir jamais connu de période aussi dangereuse, même au temps des maquis communiste dans les années 70. « Sans pistolet, nous sommes désavantagés. S’ils nous tirent dessus, on ne peut que s’enfuir. Avec une arme, on peut riposter. Et si on riposte, ils déguerpissent », lance ce vétéran. « Ils », ce sont les insurgés, des centaines, peut être des milliers, de jeunes musulmans rebelles à l’autorité du gouvernement central thaïlandais qui multiplient les assassinats et les attentats à la bombe. Depuis la recrudescence des violences en janvier de l’an dernier, environ 800 personnes ont été tuées, dont près de 200 par les forces de sécurité qui tentent de mater la rébellion par la force, non sans quelques grosses bavures.
Personne ne semble encore savoir clairement qui est derrière cette vague de violences sans précédent. Pour beaucoup, ces jeunes, prêts à tirer sur un enseignant qui rentre chez lui ou à décapiter un villageois bouddhiste, ont été eux-mêmes victimes des violences des forces de sécurité, ayant perdu qui un père abattu par les militaires, qui un frère enlevé par des policiers et disparu à jamais. Quelques séparatistes exploitent ce désir de vengeance à des fins politiques : ils recrutent, entraînent et financent ces adolescents à la dérive, pour la plupart sans revenus et issus de familles très pauvres. « D’après nos renseignements, la pose d’une bombe est rémunérée 10.000 bahts (200 euros) », précise le colonel Songvit Nounpakdi, chef d’une unité dans la province de Narathiwat. Soit l’équivalent de deux fois le salaire mensuel moyen dans cette région dont le développement économique a longtemps été négligé par le pouvoir central.
Les enseignants sont sur la ligne de front de cette guerre vicieuse qui ne cesse de s’amplifier à mesure que le gouvernement s’oriente vers le tout répressif. A 7h00 du matin, une centaine de jeunes enfants musulmans s’amusent sur le terrain de football de l’école Ba Yo, établie au bord d’une route de forêt à 40 kms de la ville de Yala. Ce n’est qu’un peu avant neuf heures que les profs arrivent : un convoi encadré de camions chargés de policiers armés de fusils d’assaut. Toute la journée, l’école sera gardée par quatre officiers de la police des frontières. « J’ai peur, car avant on n’avait pas l’impression que le danger était si proche de nous, maintenant on peut le sentir. Je voudrais être transférée ailleurs », confie Nipa Pinitwatjarawong, qui est l’une des dernières enseignantes bouddhistes qui travaille dans l’école. Il y a un mois, un villageois bouddhiste a été abattu sur sa moto sur la route qui passe devant l’école. Une directrice d’école, qui réside dans le district, a été assassinée quelque jours auparavant. Nipa est loin d’être la seule à partir de l’école où elle a été assignée : 3.400 enseignants ont fait leur demande de transfert depuis le début de l’année. Ils sont souvent remplacés par de jeunes étudiants locaux, qui n’ont pas toujours le niveau d’études requis. Nombreux sont deux qui déplorent cette fuite en masse. Interrogés sur l’hypothèse de la fermeture de certaines écoles pour des raisons de sécurité, Thira Songsuk, l’instit au pistolet, s’enflamme : « Ce serait comme si on acceptait la défaite. Cela voudrait dire que l’on accepte le fait que le gouvernement ne peut plus nous protéger. Si on accepte cela, les rebelles peuvent s’emparer du territoire puisque c’est cela qu’ils veulent ».
Pourquoi les insurgés s’en prennent-ils spécialement aux enseignants ? Sans doute parce qu’ils sont les derniers fonctionnaires à se rendre encore sur le terrain, hormis les militaires et les policiers. Mais surtout, ils sont, aux yeux des rebelles, les agents haïs de l’assimilation des enfants malais musulmans par l’Etat central thaïlandais. Quand les enfants malais arrivent à l’école, ils ne parlent que le jawi, un dialecte malais local. Ils sont brutalement plongés dans un milieu culturel qui n’a rien à voir avec leur environnement familial. « Je leur interdis de parler en malais, car nous estimons qu’ils savent déjà parler le malais. On leur ordonne de parler le Thaï. Le Thaï doit devenir leur première langue », indique Buraheng Youso, proviseur-adjoint de l’école Ba Yo. Mais tout le monde n’est pas sûr que ce soit la bonne méthode pour aller à la conquête des cœurs et des esprits. Certains pensent même que la révolte des locaux plonge certaines de ces racines dans cette controverse de langue d’enseignement. « Je crois que c’est une richesse plus grande si les gens du Sud peuvent avoir deux identités, l’une qui est locale, l’autre qui est nationale. Et qu’ils puissent avoir la maîtrise de deux ou trois langues. Plus on parle de langues, mieux cela vaut. L’assimilation ne doit pas être totale », estime Gothom Arya, directeur du centre de recherches pour la paix de l’université Mahidol. L’idée que le malais puisse aussi être enseigné à l’école, voire que le Thaï devienne une seconde langue pour les enfants commence à faire son chemin chez certains hauts fonctionnaires du ministère de l’Education. En attendant, les enseignants bouddhistes dans le sud musulman vivent un quotidien sur le fil du rasoir. « Notre manière de vivre a changé. Avant, on était encore souvent à l’extérieur de la maison aux alentours de minuit. Mais maintenant, il faut se dépêcher de rentrer. A huit heures, tout le monde est barricadé chez soi. Si ce n’est pas nécessaire, on ne sort pas », dit Nipa, l’institutrice de Ba Yo.
Arnaud Dubus (à Yala)
Thira Songsuk, professeur à l’école Ba Ngoi Si Ne, dans la province thaïlandaise de Yala, ne se sépare plus de son arme à feu. Pour lui, c’est une simple question de survie : en 27 ans de carrière dans le sud profond à majorité musulmane du pays, cet instit charpenté comme un bûcheron dit n’avoir jamais connu de période aussi dangereuse, même au temps des maquis communiste dans les années 70. « Sans pistolet, nous sommes désavantagés. S’ils nous tirent dessus, on ne peut que s’enfuir. Avec une arme, on peut riposter. Et si on riposte, ils déguerpissent », lance ce vétéran. « Ils », ce sont les insurgés, des centaines, peut être des milliers, de jeunes musulmans rebelles à l’autorité du gouvernement central thaïlandais qui multiplient les assassinats et les attentats à la bombe. Depuis la recrudescence des violences en janvier de l’an dernier, environ 800 personnes ont été tuées, dont près de 200 par les forces de sécurité qui tentent de mater la rébellion par la force, non sans quelques grosses bavures.
Personne ne semble encore savoir clairement qui est derrière cette vague de violences sans précédent. Pour beaucoup, ces jeunes, prêts à tirer sur un enseignant qui rentre chez lui ou à décapiter un villageois bouddhiste, ont été eux-mêmes victimes des violences des forces de sécurité, ayant perdu qui un père abattu par les militaires, qui un frère enlevé par des policiers et disparu à jamais. Quelques séparatistes exploitent ce désir de vengeance à des fins politiques : ils recrutent, entraînent et financent ces adolescents à la dérive, pour la plupart sans revenus et issus de familles très pauvres. « D’après nos renseignements, la pose d’une bombe est rémunérée 10.000 bahts (200 euros) », précise le colonel Songvit Nounpakdi, chef d’une unité dans la province de Narathiwat. Soit l’équivalent de deux fois le salaire mensuel moyen dans cette région dont le développement économique a longtemps été négligé par le pouvoir central.
Les enseignants sont sur la ligne de front de cette guerre vicieuse qui ne cesse de s’amplifier à mesure que le gouvernement s’oriente vers le tout répressif. A 7h00 du matin, une centaine de jeunes enfants musulmans s’amusent sur le terrain de football de l’école Ba Yo, établie au bord d’une route de forêt à 40 kms de la ville de Yala. Ce n’est qu’un peu avant neuf heures que les profs arrivent : un convoi encadré de camions chargés de policiers armés de fusils d’assaut. Toute la journée, l’école sera gardée par quatre officiers de la police des frontières. « J’ai peur, car avant on n’avait pas l’impression que le danger était si proche de nous, maintenant on peut le sentir. Je voudrais être transférée ailleurs », confie Nipa Pinitwatjarawong, qui est l’une des dernières enseignantes bouddhistes qui travaille dans l’école. Il y a un mois, un villageois bouddhiste a été abattu sur sa moto sur la route qui passe devant l’école. Une directrice d’école, qui réside dans le district, a été assassinée quelque jours auparavant. Nipa est loin d’être la seule à partir de l’école où elle a été assignée : 3.400 enseignants ont fait leur demande de transfert depuis le début de l’année. Ils sont souvent remplacés par de jeunes étudiants locaux, qui n’ont pas toujours le niveau d’études requis. Nombreux sont deux qui déplorent cette fuite en masse. Interrogés sur l’hypothèse de la fermeture de certaines écoles pour des raisons de sécurité, Thira Songsuk, l’instit au pistolet, s’enflamme : « Ce serait comme si on acceptait la défaite. Cela voudrait dire que l’on accepte le fait que le gouvernement ne peut plus nous protéger. Si on accepte cela, les rebelles peuvent s’emparer du territoire puisque c’est cela qu’ils veulent ».
Pourquoi les insurgés s’en prennent-ils spécialement aux enseignants ? Sans doute parce qu’ils sont les derniers fonctionnaires à se rendre encore sur le terrain, hormis les militaires et les policiers. Mais surtout, ils sont, aux yeux des rebelles, les agents haïs de l’assimilation des enfants malais musulmans par l’Etat central thaïlandais. Quand les enfants malais arrivent à l’école, ils ne parlent que le jawi, un dialecte malais local. Ils sont brutalement plongés dans un milieu culturel qui n’a rien à voir avec leur environnement familial. « Je leur interdis de parler en malais, car nous estimons qu’ils savent déjà parler le malais. On leur ordonne de parler le Thaï. Le Thaï doit devenir leur première langue », indique Buraheng Youso, proviseur-adjoint de l’école Ba Yo. Mais tout le monde n’est pas sûr que ce soit la bonne méthode pour aller à la conquête des cœurs et des esprits. Certains pensent même que la révolte des locaux plonge certaines de ces racines dans cette controverse de langue d’enseignement. « Je crois que c’est une richesse plus grande si les gens du Sud peuvent avoir deux identités, l’une qui est locale, l’autre qui est nationale. Et qu’ils puissent avoir la maîtrise de deux ou trois langues. Plus on parle de langues, mieux cela vaut. L’assimilation ne doit pas être totale », estime Gothom Arya, directeur du centre de recherches pour la paix de l’université Mahidol. L’idée que le malais puisse aussi être enseigné à l’école, voire que le Thaï devienne une seconde langue pour les enfants commence à faire son chemin chez certains hauts fonctionnaires du ministère de l’Education. En attendant, les enseignants bouddhistes dans le sud musulman vivent un quotidien sur le fil du rasoir. « Notre manière de vivre a changé. Avant, on était encore souvent à l’extérieur de la maison aux alentours de minuit. Mais maintenant, il faut se dépêcher de rentrer. A huit heures, tout le monde est barricadé chez soi. Si ce n’est pas nécessaire, on ne sort pas », dit Nipa, l’institutrice de Ba Yo.
Arnaud Dubus (à Yala)
Six mois après le tsunami, le travail d’identification, complexe et laborieux, continue
Six mois après que le tsunami a ravagé les côtes de l’Océan indien, des dizaines d’experts venus de 36 pays continuent à travailler pour tenter d’identifier les corps d’environ 750 personnes qui ont été signalées disparues après la tragédie dans le sud de la Thaïlande. Installés dans un immeuble des télécoms thaïlandais à Phuket, la grande île touristique du royaume, ces experts, qui travaillent sous l’égide d’un général de la police thaïlandaise, enquêtent, interrogent, comparent et analysent six jours sur sept pour permettre aux familles des victimes de récupérer les dépouilles des leurs et de commencer leur travail de deuil. « Tout est recherché, vérifié, selon un protocole très strict et rigoureux qui garantit la validité des identifications», explique Xavier Laroche, qui dirige l’équipe d’investigations du Centre Thailandais pour l’identification des victimes du tsunami (TTVI).
C’est un processus long, complexe, qui fait appel aux méthodes les plus sophistiquées de la police scientifique, car le tsunami a provoqué une situation sans précédent : des milliers de victimes de toutes nationalités dispersées sur une vaste portion de territoire. Et, après six mois, les corps sont très abîmés.
Le principe de base est le même que celui utilisé lors des accidents d’avions ou des attentats : il repose sur la comparaison au moyen de logiciels informatiques entre des fichiers répertoriant toutes les caractéristiques des corps retrouvés – le dossier post-mortem – et les profils ante-mortem des personnes signalées disparues. Ces profils peuvent inclure aussi bien des photos prises peu avant le tsunami (donnant des indications sur les vêtements), que des dossiers dentaires recupérés chez les dentistes des disparus, des empreintes digitales relevées sur un verre à dents ou des analyses ADN établies à partir d’un cheveu retrouvé sur une brosse. Une adéquation sans équivoque entre un dossier post-mortem et un dossier ante-mortem aboutit à une identification, mais ce résultat n’est parfois obtenu qu’après des mois de recherches. « Dans certains cas, on a l’intime conviction qu’il s’agit de telle personne, mais le processus scientifique doit être impérativement respecté, le but étant de ne faire aucune erreur d’identification même si cela demande un délai supplémentaire », dit Xavier Laroche.
Dans les cas d’identification les plus difficiles, la comparaison des profils ADN fait souvent figure de dernier recours, mais cette technique n’est pas sans failles, car le corps peut être parfois si décomposé qu’il est impossible d’en extraire le code génétique. « L’ADN est quelque chose d’assez fragile. Si les corps sont très abîmés, en cas de fractures par exemple, cela peut poser problème », confirme Elsa Hiver, biologiste au laboratoire technique et scientifique de la police de Lille. L’ADN est habituellement prélevé dans la moëlle de l’os : des sections de fémurs des corps retrouvés ont été envoyés dans divers laboratoires en Suéde, en Grande-Bretagne, en Chine et en Bosnie où se trouve la Commission Internationale pour les les personnes disparues (ICMP). « Nous en sommes au début. Quand les résultats d’analyses vont revenir en nombre, cela va monter crescendo », estime Elsa Hiver. Une analyse parfaite du code génétique d’un corps n’est toutefois pas la garantie d’une identification, car, on ne peut pas toujours établir un profil ADN ante-mortem de la victime elle-même. Il faut alors se référer aux génotypes des membres de la famille, ce qui se complique quand ces familles ont été décimées par le tsunami. Si les deux parents d’une victime dont on a extrait le profil ADN après le décès sont vivants, la probabilité d’une adéquation est très élevée, mais elle s’amoindrit pour un seul des parents et devient beaucoup plus faible si l’on ne peut recourir qu’à un frère ou un oncle. Les profils ADN sont entrés dans la base de données Plasdata, un logiciel créé à l’origine par les Danois pour identifier les victimes lors des accidents maritimes, qui recueille l’ensemble des données avant et après le décès et permet les comparaisons. Pour l’ADN, il en ressort des adéquations certaines, probables ou possibles, qui sont ensuite affinées sous forme de probabilités par les biologistes. « Pour qu’il y ait identification, il faut qu’on ait une probabilité de 99,9 %. Si c’est du probable ou du possible, l’équipe de conciliation (comité mixte d’experts chargés de revoir toutes les données) intervient pour regarder les autres éléments du dossier, comme les empreintes digitales ou les caractéristiques physiques », précise Elsa Hiver. Le logiciel ICMP utilisé par le laboratoire de Sarajevo pour identifier les victimes des guerres du Balkan dans les années 90, vient d’être mis en place à Phuket. Destiné uniquement aux comparaisons des profils ADN, il devrait permettre des progrès plus rapides que Plasdata.
L’identification par empreinte digitale ne souffre pas de telles incertitudes : c’est du tout ou rien. « Chez nous, il n’y a pas de demi-mesures. On ouvre ou on ferme des portes », indique François Drillet, spécialistes traces au fichier centralisé des empreintes digitales. Là aussi, le terrain de travail post-tsunami présente des défis inédits. Sur des corps décomposés, l’épiderme a disparu et on ne peut plus faire de relevé d’empreinte au moyen de l’encre. « Les crêtes sont moins visibles, il faut aller jusqu’au derme, mais quand le corps est très abîmé, le relevé d’empreinte peut devenir impossible », dit François Drillet. Chaque pays a tenté de trouver des nouvelles techniques. L’équipe espagnole effectue des relevés d’empreintes sur le derme avec de la poudre noir animal qui est ensuite transférée à l’aide de scotch, un procédé qui s’avère efficace et qui a été repris par l’ensemble des experts présents. Une fois, le relevé d’empreinte effectué, et bien sûr si l’on dispose d’une empreinte ante-mortem (souvent relevée au domicile du disparu sur un objet qu’il utilisait habituellement), les experts déterminent sur ordinateur des points caractéristiques de l’empreinte - les bifurcations, les arrêts de lignes, les îlots et les lacs – puis effectuent un calcul algorithmique. La régle veut que si douze points de l’empreinte post mortem correspondent à douze points d’une empreinte ante mortem, sans aucune discordance que l’on ne puisse expliquer par une blessure ou une rupture, il s’agit de la même empreinte. Seules de longues années de pratique permettent cette évaluation. « L’informatique permet de faire un tri dans les milliers de données, mais il faut vérifier à l’œil point par point. Il n’y a que l’œil humain qui peut valider le « hit » », dit François Drillet.
Les analyses d’odontogrammes par des experts dentaires sont souvent des éléments déterminants, car les dents restent intacts même six mois après la tragédie : cette technique d’identification avait été utilisée pour la première fois lors de l’incendie du bazar de l’hôtel de ville de Paris au début du siècle lorsqu’elle avait permis de reconnaître un membre de la famille impériale autrichienne. Dans le cas présent, le plus difficile est de récupérer des dossiers dentaires ante-mortem ou même de retrouver le dentiste habituel de familles qui ont été entiérement décimées par le raz de marée. Mais parfois, l’identification est rendue délicate par le manque de données ante-mortem, notamment dans le cas de très jeunes enfants qui n’ont pas de dossiers médicaux. C’est alors un élément extérieur qui peut permettre de faire progresser l’identification : ainsi, l’analyse d’une couche trouvée sur un corps d’un très jeune enfant peut permettre de trouver le pays de fabrication de l’objet et, donc la nationalité possible du bébé. L’équipe d’Investigations, chargée de traiter de toutes les requêtes de l’équipe de conciliation, a, par ailleurs, retrouvé vivante une personne portée disparue après le tsunami.
Selon les équipes du TTVI, certains corps resteront définitivement non identifiés. D’abord parce que des victimes ont été enterrées sous la boue consécutive au passage du raz de marée. Mais aussi parce que des milliers de birmans travaillaient, parfois illégalement, dans les hôtels, les restaurants et les entreprises de pêches de cette région de Thaïlande et des centaines d’entre eux ont probablements été tués par le tsunami. Pour ces petites mains anonymes, il n’existe pas de dossier ante-mortem et donc pas d’identification possible. Un certain nombre d’entre eux se trouvent sans doute parmi les centaines de corps, entreposés dans des caissons réfrigérés, qui restent non identifiés dans le cimetière Mai Khao de Phuket. Pour les corps qui ne correspondent à aucune donnée ante-mortem, le processus d’investigation s’arrête. Les experts du TTVI pensent pouvoir clôre définitivement le travail d’identification pour le premier anniversaire du tsunami, le 26 décembre prochain.
Arnaud Dubus (Libération).
C’est un processus long, complexe, qui fait appel aux méthodes les plus sophistiquées de la police scientifique, car le tsunami a provoqué une situation sans précédent : des milliers de victimes de toutes nationalités dispersées sur une vaste portion de territoire. Et, après six mois, les corps sont très abîmés.
Le principe de base est le même que celui utilisé lors des accidents d’avions ou des attentats : il repose sur la comparaison au moyen de logiciels informatiques entre des fichiers répertoriant toutes les caractéristiques des corps retrouvés – le dossier post-mortem – et les profils ante-mortem des personnes signalées disparues. Ces profils peuvent inclure aussi bien des photos prises peu avant le tsunami (donnant des indications sur les vêtements), que des dossiers dentaires recupérés chez les dentistes des disparus, des empreintes digitales relevées sur un verre à dents ou des analyses ADN établies à partir d’un cheveu retrouvé sur une brosse. Une adéquation sans équivoque entre un dossier post-mortem et un dossier ante-mortem aboutit à une identification, mais ce résultat n’est parfois obtenu qu’après des mois de recherches. « Dans certains cas, on a l’intime conviction qu’il s’agit de telle personne, mais le processus scientifique doit être impérativement respecté, le but étant de ne faire aucune erreur d’identification même si cela demande un délai supplémentaire », dit Xavier Laroche.
Dans les cas d’identification les plus difficiles, la comparaison des profils ADN fait souvent figure de dernier recours, mais cette technique n’est pas sans failles, car le corps peut être parfois si décomposé qu’il est impossible d’en extraire le code génétique. « L’ADN est quelque chose d’assez fragile. Si les corps sont très abîmés, en cas de fractures par exemple, cela peut poser problème », confirme Elsa Hiver, biologiste au laboratoire technique et scientifique de la police de Lille. L’ADN est habituellement prélevé dans la moëlle de l’os : des sections de fémurs des corps retrouvés ont été envoyés dans divers laboratoires en Suéde, en Grande-Bretagne, en Chine et en Bosnie où se trouve la Commission Internationale pour les les personnes disparues (ICMP). « Nous en sommes au début. Quand les résultats d’analyses vont revenir en nombre, cela va monter crescendo », estime Elsa Hiver. Une analyse parfaite du code génétique d’un corps n’est toutefois pas la garantie d’une identification, car, on ne peut pas toujours établir un profil ADN ante-mortem de la victime elle-même. Il faut alors se référer aux génotypes des membres de la famille, ce qui se complique quand ces familles ont été décimées par le tsunami. Si les deux parents d’une victime dont on a extrait le profil ADN après le décès sont vivants, la probabilité d’une adéquation est très élevée, mais elle s’amoindrit pour un seul des parents et devient beaucoup plus faible si l’on ne peut recourir qu’à un frère ou un oncle. Les profils ADN sont entrés dans la base de données Plasdata, un logiciel créé à l’origine par les Danois pour identifier les victimes lors des accidents maritimes, qui recueille l’ensemble des données avant et après le décès et permet les comparaisons. Pour l’ADN, il en ressort des adéquations certaines, probables ou possibles, qui sont ensuite affinées sous forme de probabilités par les biologistes. « Pour qu’il y ait identification, il faut qu’on ait une probabilité de 99,9 %. Si c’est du probable ou du possible, l’équipe de conciliation (comité mixte d’experts chargés de revoir toutes les données) intervient pour regarder les autres éléments du dossier, comme les empreintes digitales ou les caractéristiques physiques », précise Elsa Hiver. Le logiciel ICMP utilisé par le laboratoire de Sarajevo pour identifier les victimes des guerres du Balkan dans les années 90, vient d’être mis en place à Phuket. Destiné uniquement aux comparaisons des profils ADN, il devrait permettre des progrès plus rapides que Plasdata.
L’identification par empreinte digitale ne souffre pas de telles incertitudes : c’est du tout ou rien. « Chez nous, il n’y a pas de demi-mesures. On ouvre ou on ferme des portes », indique François Drillet, spécialistes traces au fichier centralisé des empreintes digitales. Là aussi, le terrain de travail post-tsunami présente des défis inédits. Sur des corps décomposés, l’épiderme a disparu et on ne peut plus faire de relevé d’empreinte au moyen de l’encre. « Les crêtes sont moins visibles, il faut aller jusqu’au derme, mais quand le corps est très abîmé, le relevé d’empreinte peut devenir impossible », dit François Drillet. Chaque pays a tenté de trouver des nouvelles techniques. L’équipe espagnole effectue des relevés d’empreintes sur le derme avec de la poudre noir animal qui est ensuite transférée à l’aide de scotch, un procédé qui s’avère efficace et qui a été repris par l’ensemble des experts présents. Une fois, le relevé d’empreinte effectué, et bien sûr si l’on dispose d’une empreinte ante-mortem (souvent relevée au domicile du disparu sur un objet qu’il utilisait habituellement), les experts déterminent sur ordinateur des points caractéristiques de l’empreinte - les bifurcations, les arrêts de lignes, les îlots et les lacs – puis effectuent un calcul algorithmique. La régle veut que si douze points de l’empreinte post mortem correspondent à douze points d’une empreinte ante mortem, sans aucune discordance que l’on ne puisse expliquer par une blessure ou une rupture, il s’agit de la même empreinte. Seules de longues années de pratique permettent cette évaluation. « L’informatique permet de faire un tri dans les milliers de données, mais il faut vérifier à l’œil point par point. Il n’y a que l’œil humain qui peut valider le « hit » », dit François Drillet.
Les analyses d’odontogrammes par des experts dentaires sont souvent des éléments déterminants, car les dents restent intacts même six mois après la tragédie : cette technique d’identification avait été utilisée pour la première fois lors de l’incendie du bazar de l’hôtel de ville de Paris au début du siècle lorsqu’elle avait permis de reconnaître un membre de la famille impériale autrichienne. Dans le cas présent, le plus difficile est de récupérer des dossiers dentaires ante-mortem ou même de retrouver le dentiste habituel de familles qui ont été entiérement décimées par le raz de marée. Mais parfois, l’identification est rendue délicate par le manque de données ante-mortem, notamment dans le cas de très jeunes enfants qui n’ont pas de dossiers médicaux. C’est alors un élément extérieur qui peut permettre de faire progresser l’identification : ainsi, l’analyse d’une couche trouvée sur un corps d’un très jeune enfant peut permettre de trouver le pays de fabrication de l’objet et, donc la nationalité possible du bébé. L’équipe d’Investigations, chargée de traiter de toutes les requêtes de l’équipe de conciliation, a, par ailleurs, retrouvé vivante une personne portée disparue après le tsunami.
Selon les équipes du TTVI, certains corps resteront définitivement non identifiés. D’abord parce que des victimes ont été enterrées sous la boue consécutive au passage du raz de marée. Mais aussi parce que des milliers de birmans travaillaient, parfois illégalement, dans les hôtels, les restaurants et les entreprises de pêches de cette région de Thaïlande et des centaines d’entre eux ont probablements été tués par le tsunami. Pour ces petites mains anonymes, il n’existe pas de dossier ante-mortem et donc pas d’identification possible. Un certain nombre d’entre eux se trouvent sans doute parmi les centaines de corps, entreposés dans des caissons réfrigérés, qui restent non identifiés dans le cimetière Mai Khao de Phuket. Pour les corps qui ne correspondent à aucune donnée ante-mortem, le processus d’investigation s’arrête. Les experts du TTVI pensent pouvoir clôre définitivement le travail d’identification pour le premier anniversaire du tsunami, le 26 décembre prochain.
Arnaud Dubus (Libération).
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