« Tu veux ou tu veux pas ? ». Le chanteur Zanini aurait eu
beau jeu de narguer l’actuel chef de l’armée de terre thaïlandaise, le général
Prayuth Chan-ocha pour sa propension à dire tout et son contraire quant à la
possibilité pour les militaires de prendre le pouvoir. Alors qu’il y a encore
trois mois, le bouillant Prayuth tançait les journalistes qui le harcelaient de
question à ce sujet, il s’est fait plus précis depuis la fin février, disant
d’abord que « la porte n’était ni ouverte ni fermée » (pour un coup
d’Etat), puis, au début de mars, qu’une « solution spéciale » pouvait
être adoptée selon les circonstances pour régler la crise politique qui paralyse
le royaume depuis début novembre.
Les observateurs de la politique thaïlandaise ont depuis longtemps appris
qu’il ne faut guère écouter ce que disent les généraux, mais plutôt regarder ce
qu’ils font. D’une certaine manière, nier à l’avance que l’on prépare un coup
d’Etat participe de l’effet de surprise, comme l’avaient bien compris les
généraux Suchinda Kraprayoon en 1992 et Sonthi Boonyaratklin en 2006.
Force est toutefois de constater que les prédictions les plus alarmistes
sur Prayuth, affectueusement surnommé « le gros Tou » par la presse
thaïlandaise – prédictions faites lors de sa nomination à la tête de l’armée en
octobre 2010 -, ont été plutôt contredites par la suite des événements. Ce
général pète-sec, donnant souvent l’impression de couver une colère rentrée
contre son entourage, et que l’on disait « féroce opposant aux
Chemises rouges (les partisans du gouvernement actuel de Yingluck
Shinawatra et de son frère, l’ancien Premier ministre Thaksin) », s’est
révélé à l’usage être plutôt moins porté à intervenir en politique que son
prédecesseur Anupong Paochinda.
Poussé par le gouvernement d’Abhisit Vejjajiva, le général Anupong avait
finalement envoyé ses troupes pour écraser la rébellion rouge en mai 2010. Dans
les mois précédents, il était apparu régulièrement aux côtés d’Abhisit et du
vice-Premier ministre Suthep Thaugsuban lors d’interventions officielles à la
télévision. Rien de tel avec Prayuth, lequel s’est gardé d’afficher trop
publiquement sa sympathie pour les forces conservatrices manifestant dans les
rues sous la direction de Suthep. Certes, Prayuth a bien dit en novembre qu’il
était « chagriné » de voir que la police tirait des grenades
lacrymogènes contre les manifestants anti-gouvernementaux. Mais ces larmes
n’ont pas débouché sur une contre-attaque.
Pourquoi cette réserve ? L’armée semble en effet suffisamment unie
derrière Prayuth, lequel a placé ses camarades de la classe 12 de l’académie
militaire préparatoire et du Queen’s Guard de Prachinburi aux postes clés de
l’appareil militaire, pour qu’un coup d’Etat soit assuré d’un succès
opérationnel. Peut-être, un signal envoyé par une instance supérieure a-t-il
joué un rôle dans cette attitude prudente ? Le général a aussi été échaudé
par la série de jugements prononcés par les tribunaux contre les militaires
dans le cadre de la répression meurtrière d’avril-mai 2010. Il est sans doute
trop pour dire que les militaires thaïlandais sont, une fois pour toutes,
rentrés dans leurs casernes. Mais il n’en reste pas moins que dans une situation
semblable – quatre mois de manifestations ininterrompues au cœur de la
capitale, occupation des ministères, violences fréquentes et meurtrières – les
« hommes en uniformes » seraient déjà intervenus sous une forme ou
sous une autre dans le passé.
Arnaud Dubus
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