Monday, February 18, 2013

Chronique de Thaïlande : coup de chapeau aux technocrates !

Dans un pays souvent tiré en tous sens en fonction des intérêts politiques, les technocrates impriment envers et contre tout une direction générale rationnelle.


A observer les agitations quasi-épileptiques des politiciens (et des militaires) thaïlandais, on se demande parfois comment le royaume de Thaïlande reste sur ses pieds. Coups d’Etat, pillage du trésor public, gabegie financière, défense désastreuse du baht en 1997, répression contre le peuple, compétition sur la répartition des prébendes, croisades nationalistes irraisonnées… l’irresponsabilité des politiciens du pays rappelle les plus beaux épisodes de ce que l’on appelle sous d’autres cieux les républiques bananières. Et il faudrait y ajouter les catastrophes naturelles occasionnelles, du tsunami de 2004 aux inondations de 2011. Et pourtant, la Thaïlande semble passer au travers des gouttes, même sous les plus gros orages. Sans remonter jusqu’à sa légendaire habileté qui lui a permis d’éviter les sanctions à la fin de la Deuxième guerre mondiale, on ne peut qu’admirer le fait que les épreuves traversées n’ont que peu influé sur des variables aussi vitales pour le pays que le nombre d’arrivées des touristes, le niveau des investissements étrangers et le dynamisme, en général, de l’activité économique.
Le secret, murmurent des étrangers sur place de longue date, réside dans un corpus réduit mais influent de hauts fonctionnaires et de technocrates, bien formés, peu sensibles aux sirènes du pouvoir politique ou des puissances d’argent et passionnés avant tout par le travail bien fait. Ce n’est pas la « mafia de Berkeley » qu’avait pu connaître l’Indonésie de Suharto, mais une « mafia » venue de divers horizons, d’Harvard à Assas en passant par les universités de Melbourne et de Chulalongkorn. Ces technocrates ont posé dans les années 1970 et 1980 les bases du développement économique thaïlandais – un développement fortement axé sur l’industrialisation à partir d’investissements japonais et américains et tournant le dos à l’agriculture. A la tête des grandes institutions du royaume, comme la Chambre de commerce, la Banque Centrale, le Bureau national de développement économique (devenu ensuite Bureau national de développement économique et social) et le Bureau des investissements, ils ont maintenu le cap envers et contre tout, résistant aux menaces ou aux avances des politiciens. Pisit Pakasem, Amaret Sila-On, Pridiyathorn Devakul ou Staporn Kavitanon sont autant de noms sur ces tablettes rarement évoquées des serviteurs de l’Etat thaïlandais.
Certes, certains d’entre eux ont failli, sont tombés dans l’ornière politique ou, comme les infortunés dirigeants de la Banque centrale de 1997-1998, Reungchai Marakanond en tête, se sont laissés embobiner par les politiciens. Mais qu’un Vissanou Krua-Ngarm ou qu’un Bovornsak Uwanno s’engagent dans les pas de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra n’a finalement été qu’une péripétie dans une longue lignée empreinte de dignité et de sens du devoir. Après tout, combien de nos énarques versent dans la politique, oubliant les leçons de la Grande école ? Des exemples récents, en Thaïlande, ont montré comment les tenants de la Banque Centrale ont lutté pied à pied contre les pressions politiciennes afin de maintenir la rigueur fiscale, la stabilité monétaire et la bonne santé économique du pays. Peut-être que certains observateurs classeront ces hommes de devoir, souvent monarchistes, au sein de l’establishment conservateur. Mais quelle que soit la couleur dont on les peint, ces technocrates et hauts fonctionnaires constituent depuis des décennies la colonne vertébrale d’un pays qui fait souvent preuve d’une souplesse déconcertante.

Max Constant

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