Quoique l’on puisse penser de l’attitude passée et présente de Thaksin Shinawatra, force est de constater un fait : cet ex-officier de police devenu homme d’affaires puis converti à la politique est au coeur des passions nationales depuis maintenant quinze ans.
Manifestations de rues, débats parlementaires, bruits de bottes et cliquetis d’armes, tout tourne autour de lui. Ce fait est notable car aucun Premier ministre depuis le maréchal Sarit Thanarath, mort en 1963, n’avait exercé une telle influence. Et même Sarit avait eu l’intelligence de se placer dans l’ombre du roi Bhumibol qui entamait alors son irrésistible ascension dans les consciences.
Car ce qui agace certains chez Thaksin, c’est qu’il n’a pas voulu être dans l’ombre du monarque. Il y avait le Roi et lui, mais pas le Roi tout seul.
Une confrontation inévitable
Le clash était inévitable car non seulement le monarque a, de part son dévouement couplé à une formidable machine de propagande, réussi à occuper l’essentiel de l’espace public depuis les années 60, mais il s’est constitué autour de lui un petit monde de courtisans, d’hommes d’affaires liés au Crown Property Bureau, de chambellans, d’aristocrates, de bureaucrates et d’officiers militaires d’active ou à la retraite qui dépendent de la perpétuation d’un système monarchique vénéré par la population – et échappant à toute critique grâce à la loi punissant le crime de lèse-majesté – pour le maintien de leurs bénéfices et privilèges.
Tout cela est connu, mais la nature de l’opposition entre le Roi et Thaksin a été rarement analysé en termes sociologiques. Lors de son discours d’anniversaire du 4 décembre 2002, le monarque avait, avec drôlerie, fustigé ce Premier ministre ambitieux, qui lui demandait d’être le “super-PDG” de la
Thaïlande et importait des économistes sud-américains pour révolutionner l’économie thaïlandaise.
L’opposition des personnalités était frappante entre l’homme d’affaires, plongé dans l’action, peu cultivé et peu scrupuleux, et Sa Majesté, homme de
culture et de réflexion, issu d’un autre âge. Si l’on reprend la typologie des types de leaders établi par Max Weber, on pourrait dire que le leadership du Roi est d’abord un leadership traditionnel, s’appuyant sur une très longue tradition de respect d’une lignée de dirigeants, choisis à l’origine, puis se succédant au sein d’une même famille.
Un leadership de type charismatique
Dans le cas du roi de Thaïlande, il s’y combine un leadership de type charismatique où la valeur du dirigeant ne vient pas d’un long passé familial, mais de la puissance de son aura dans le présent. Hitler, Mussolini ou De Gaulle étaient des leaders de ce type. Thaksin en fait aussi partie : aux larmes qui coulent des joues des Thaïlandais quand le roi apparaît à son balcon ou même lors d’une cérémonie royale dont le roi est absent répondent les cris fanatiques des partisans de Thaksin.
A la rigueur un leader traditionnel et un leader charismatique peuvent cohabiter. Cela s’est vu en Espagne par exemple durant la période de Franco ou durant de nombreuses phases de l’
histoire britannique. En revanche, la cohabitation entre deux leaders charismatiques est particulièrement malaisée, car la nature du charisme est d’opérer une sorte de “ravissement total” de la personnalité des partisans. Deux leaders de ce type en concurrence aboutissent souvent à une société profondément divisée et où la possibilité d’un dialogue rationnel entre les deux bords est limitée.
Les choses iraient-elles mieux si l’on retirait Thaksin de l’équation ? Momentanément sans doute, mais en dessous du conflit entre groupes de l’élite s’agitent des courants puissants poussant à l’évolution de la société thaïlandaise vers un modèle plus égalitaire et moins hiérarchisé. “Le problème est simple : nous avons été tenus sous le boisseau pendant très longtemps et nous ne voulons plus l’être”, dit Summitr, un chauffeur de taxi. Avec ou sans Thaksin, tôt ou tard, cette question de fond se reposera.
Arnaud Dubus
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http://www.infoasie.net/analyse/26494-le-roi-et-lui.html#BadOI16d9HeMSWzh.99
Quoique l’on puisse penser de l’attitude passée et présente de Thaksin Shinawatra, force est de constater un fait : cet ex-officier de police devenu homme d’affaires puis converti à la politique est au coeur des passions nationales depuis maintenant quinze ans.
Manifestations de rues, débats parlementaires, bruits de bottes et cliquetis d’armes, tout tourne autour de lui. Ce fait est notable car aucun Premier ministre depuis le maréchal Sarit Thanarath, mort en 1963, n’avait exercé une telle influence. Et même Sarit avait eu l’intelligence de se placer dans l’ombre du roi Bhumibol qui entamait alors son irrésistible ascension dans les consciences.
Car ce qui agace certains chez Thaksin, c’est qu’il n’a pas voulu être dans l’ombre du monarque. Il y avait le Roi et lui, mais pas le Roi tout seul.
Une confrontation inévitable
Le clash était inévitable car non seulement le monarque a, de part son dévouement couplé à une formidable machine de propagande, réussi à occuper l’essentiel de l’espace public depuis les années 60, mais il s’est constitué autour de lui un petit monde de courtisans, d’hommes d’affaires liés au Crown Property Bureau, de chambellans, d’aristocrates, de bureaucrates et d’officiers militaires d’active ou à la retraite qui dépendent de la perpétuation d’un système monarchique vénéré par la population – et échappant à toute critique grâce à la loi punissant le crime de lèse-majesté – pour le maintien de leurs bénéfices et privilèges.
Tout cela est connu, mais la nature de l’opposition entre le Roi et Thaksin a été rarement analysé en termes sociologiques. Lors de son discours d’anniversaire du 4 décembre 2002, le monarque avait, avec drôlerie, fustigé ce Premier ministre ambitieux, qui lui demandait d’être le “super-PDG” de la
Thaïlande et importait des économistes sud-américains pour révolutionner l’économie thaïlandaise.
L’opposition des personnalités était frappante entre l’homme d’affaires, plongé dans l’action, peu cultivé et peu scrupuleux, et Sa Majesté, homme de
culture et de réflexion, issu d’un autre âge. Si l’on reprend la typologie des types de leaders établi par Max Weber, on pourrait dire que le leadership du Roi est d’abord un leadership traditionnel, s’appuyant sur une très longue tradition de respect d’une lignée de dirigeants, choisis à l’origine, puis se succédant au sein d’une même famille.
Un leadership de type charismatique
Dans le cas du roi de Thaïlande, il s’y combine un leadership de type charismatique où la valeur du dirigeant ne vient pas d’un long passé familial, mais de la puissance de son aura dans le présent. Hitler, Mussolini ou De Gaulle étaient des leaders de ce type. Thaksin en fait aussi partie : aux larmes qui coulent des joues des Thaïlandais quand le roi apparaît à son balcon ou même lors d’une cérémonie royale dont le roi est absent répondent les cris fanatiques des partisans de Thaksin.
A la rigueur un leader traditionnel et un leader charismatique peuvent cohabiter. Cela s’est vu en Espagne par exemple durant la période de Franco ou durant de nombreuses phases de l’
histoire britannique. En revanche, la cohabitation entre deux leaders charismatiques est particulièrement malaisée, car la nature du charisme est d’opérer une sorte de “ravissement total” de la personnalité des partisans. Deux leaders de ce type en concurrence aboutissent souvent à une société profondément divisée et où la possibilité d’un dialogue rationnel entre les deux bords est limitée.
Les choses iraient-elles mieux si l’on retirait Thaksin de l’équation ? Momentanément sans doute, mais en dessous du conflit entre groupes de l’élite s’agitent des courants puissants poussant à l’évolution de la société thaïlandaise vers un modèle plus égalitaire et moins hiérarchisé. “Le problème est simple : nous avons été tenus sous le boisseau pendant très longtemps et nous ne voulons plus l’être”, dit Summitr, un chauffeur de taxi. Avec ou sans Thaksin, tôt ou tard, cette question de fond se reposera.
Arnaud Dubus
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Quoique l’on puisse penser de l’attitude passée et présente de Thaksin Shinawatra, force est de constater un fait : cet ex-officier de police devenu homme d’affaires puis converti à la politique est au coeur des passions nationales depuis maintenant quinze ans.
Manifestations de rues, débats parlementaires, bruits de bottes et cliquetis d’armes, tout tourne autour de lui. Ce fait est notable car aucun Premier ministre depuis le maréchal Sarit Thanarath, mort en 1963, n’avait exercé une telle influence. Et même Sarit avait eu l’intelligence de se placer dans l’ombre du roi Bhumibol qui entamait alors son irrésistible ascension dans les consciences.
Car ce qui agace certains chez Thaksin, c’est qu’il n’a pas voulu être dans l’ombre du monarque. Il y avait le Roi et lui, mais pas le Roi tout seul.
Une confrontation inévitable
Le clash était inévitable car non seulement le monarque a, de part son dévouement couplé à une formidable machine de propagande, réussi à occuper l’essentiel de l’espace public depuis les années 60, mais il s’est constitué autour de lui un petit monde de courtisans, d’hommes d’affaires liés au Crown Property Bureau, de chambellans, d’aristocrates, de bureaucrates et d’officiers militaires d’active ou à la retraite qui dépendent de la perpétuation d’un système monarchique vénéré par la population – et échappant à toute critique grâce à la loi punissant le crime de lèse-majesté – pour le maintien de leurs bénéfices et privilèges.
Tout cela est connu, mais la nature de l’opposition entre le Roi et Thaksin a été rarement analysé en termes sociologiques. Lors de son discours d’anniversaire du 4 décembre 2002, le monarque avait, avec drôlerie, fustigé ce Premier ministre ambitieux, qui lui demandait d’être le “super-PDG” de la
Thaïlande et importait des économistes sud-américains pour révolutionner l’économie thaïlandaise.
L’opposition des personnalités était frappante entre l’homme d’affaires, plongé dans l’action, peu cultivé et peu scrupuleux, et Sa Majesté, homme de
culture et de réflexion, issu d’un autre âge. Si l’on reprend la typologie des types de leaders établi par Max Weber, on pourrait dire que le leadership du Roi est d’abord un leadership traditionnel, s’appuyant sur une très longue tradition de respect d’une lignée de dirigeants, choisis à l’origine, puis se succédant au sein d’une même famille.
Un leadership de type charismatique
Dans le cas du roi de Thaïlande, il s’y combine un leadership de type charismatique où la valeur du dirigeant ne vient pas d’un long passé familial, mais de la puissance de son aura dans le présent. Hitler, Mussolini ou De Gaulle étaient des leaders de ce type. Thaksin en fait aussi partie : aux larmes qui coulent des joues des Thaïlandais quand le roi apparaît à son balcon ou même lors d’une cérémonie royale dont le roi est absent répondent les cris fanatiques des partisans de Thaksin.
A la rigueur un leader traditionnel et un leader charismatique peuvent cohabiter. Cela s’est vu en Espagne par exemple durant la période de Franco ou durant de nombreuses phases de l’
histoire britannique. En revanche, la cohabitation entre deux leaders charismatiques est particulièrement malaisée, car la nature du charisme est d’opérer une sorte de “ravissement total” de la personnalité des partisans. Deux leaders de ce type en concurrence aboutissent souvent à une société profondément divisée et où la possibilité d’un dialogue rationnel entre les deux bords est limitée.
Les choses iraient-elles mieux si l’on retirait Thaksin de l’équation ? Momentanément sans doute, mais en dessous du conflit entre groupes de l’élite s’agitent des courants puissants poussant à l’évolution de la société thaïlandaise vers un modèle plus égalitaire et moins hiérarchisé. “Le problème est simple : nous avons été tenus sous le boisseau pendant très longtemps et nous ne voulons plus l’être”, dit Summitr, un chauffeur de taxi. Avec ou sans Thaksin, tôt ou tard, cette question de fond se reposera.
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Quoique l’on puisse penser de l’attitude passée et présente de Thaksin Shinawatra, force est de constater un fait : cet ex-officier de police devenu homme d’affaires puis converti à la politique est au coeur des passions nationales depuis maintenant quinze ans.
Manifestations de rues, débats parlementaires, bruits de bottes et cliquetis d’armes, tout tourne autour de lui. Ce fait est notable car aucun Premier ministre depuis le maréchal Sarit Thanarath, mort en 1963, n’avait exercé une telle influence. Et même Sarit avait eu l’intelligence de se placer dans l’ombre du roi Bhumibol qui entamait alors son irrésistible ascension dans les consciences.
Car ce qui agace certains chez Thaksin, c’est qu’il n’a pas voulu être dans l’ombre du monarque. Il y avait le Roi et lui, mais pas le Roi tout seul.
Une confrontation inévitable
Le clash était inévitable car non seulement le monarque a, de part son dévouement couplé à une formidable machine de propagande, réussi à occuper l’essentiel de l’espace public depuis les années 60, mais il s’est constitué autour de lui un petit monde de courtisans, d’hommes d’affaires liés au Crown Property Bureau, de chambellans, d’aristocrates, de bureaucrates et d’officiers militaires d’active ou à la retraite qui dépendent de la perpétuation d’un système monarchique vénéré par la population – et échappant à toute critique grâce à la loi punissant le crime de lèse-majesté – pour le maintien de leurs bénéfices et privilèges.
Tout cela est connu, mais la nature de l’opposition entre le Roi et Thaksin a été rarement analysé en termes sociologiques. Lors de son discours d’anniversaire du 4 décembre 2002, le monarque avait, avec drôlerie, fustigé ce Premier ministre ambitieux, qui lui demandait d’être le “super-PDG” de la
Thaïlande et importait des économistes sud-américains pour révolutionner l’économie thaïlandaise.
L’opposition des personnalités était frappante entre l’homme d’affaires, plongé dans l’action, peu cultivé et peu scrupuleux, et Sa Majesté, homme de
culture et de réflexion, issu d’un autre âge. Si l’on reprend la typologie des types de leaders établi par Max Weber, on pourrait dire que le leadership du Roi est d’abord un leadership traditionnel, s’appuyant sur une très longue tradition de respect d’une lignée de dirigeants, choisis à l’origine, puis se succédant au sein d’une même famille.
Un leadership de type charismatique
Dans le cas du roi de Thaïlande, il s’y combine un leadership de type charismatique où la valeur du dirigeant ne vient pas d’un long passé familial, mais de la puissance de son aura dans le présent. Hitler, Mussolini ou De Gaulle étaient des leaders de ce type. Thaksin en fait aussi partie : aux larmes qui coulent des joues des Thaïlandais quand le roi apparaît à son balcon ou même lors d’une cérémonie royale dont le roi est absent répondent les cris fanatiques des partisans de Thaksin.
A la rigueur un leader traditionnel et un leader charismatique peuvent cohabiter. Cela s’est vu en Espagne par exemple durant la période de Franco ou durant de nombreuses phases de l’
histoire britannique. En revanche, la cohabitation entre deux leaders charismatiques est particulièrement malaisée, car la nature du charisme est d’opérer une sorte de “ravissement total” de la personnalité des partisans. Deux leaders de ce type en concurrence aboutissent souvent à une société profondément divisée et où la possibilité d’un dialogue rationnel entre les deux bords est limitée.
Les choses iraient-elles mieux si l’on retirait Thaksin de l’équation ? Momentanément sans doute, mais en dessous du conflit entre groupes de l’élite s’agitent des courants puissants poussant à l’évolution de la société thaïlandaise vers un modèle plus égalitaire et moins hiérarchisé. “Le problème est simple : nous avons été tenus sous le boisseau pendant très longtemps et nous ne voulons plus l’être”, dit Summitr, un chauffeur de taxi. Avec ou sans Thaksin, tôt ou tard, cette question de fond se reposera.
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Manifestations de rues, débats parlementaires, bruits de bottes et cliquetis d’armes, tout tourne autour de lui. Ce fait est notable car aucun Premier ministre depuis le maréchal Sarit Thanarath, mort en 1963, n’avait exercé une telle influence. Et même Sarit avait eu l’intelligence de se placer dans l’ombre du roi Bhumibol qui entamait alors son irrésistible ascension dans les consciences.
Car ce qui agace certains chez Thaksin, c’est qu’il n’a pas voulu être dans l’ombre du monarque. Il y avait le Roi et lui, mais pas le Roi tout seul.
Une confrontation inévitable
Le clash était inévitable car non seulement le monarque a, de part son dévouement couplé à une formidable machine de propagande, réussi à occuper l’essentiel de l’espace public depuis les années 60, mais il s’est constitué autour de lui un petit monde de courtisans, d’hommes d’affaires liés au Crown Property Bureau, de chambellans, d’aristocrates, de bureaucrates et d’officiers militaires d’active ou à la retraite qui dépendent de la perpétuation d’un système monarchique vénéré par la population – et échappant à toute critique grâce à la loi punissant le crime de lèse-majesté – pour le maintien de leurs bénéfices et privilèges.
Tout cela est connu, mais la nature de l’opposition entre le Roi et Thaksin a été rarement analysé en termes sociologiques. Lors de son discours d’anniversaire du 4 décembre 2002, le monarque avait, avec drôlerie, fustigé ce Premier ministre ambitieux, qui lui demandait d’être le “super-PDG” de la
Thaïlande et importait des économistes sud-américains pour révolutionner l’économie thaïlandaise.
L’opposition des personnalités était frappante entre l’homme d’affaires, plongé dans l’action, peu cultivé et peu scrupuleux, et Sa Majesté, homme de
culture et de réflexion, issu d’un autre âge. Si l’on reprend la typologie des types de leaders établi par Max Weber, on pourrait dire que le leadership du Roi est d’abord un leadership traditionnel, s’appuyant sur une très longue tradition de respect d’une lignée de dirigeants, choisis à l’origine, puis se succédant au sein d’une même famille.
Un leadership de type charismatique
Dans le cas du roi de Thaïlande, il s’y combine un leadership de type charismatique où la valeur du dirigeant ne vient pas d’un long passé familial, mais de la puissance de son aura dans le présent. Hitler, Mussolini ou De Gaulle étaient des leaders de ce type. Thaksin en fait aussi partie : aux larmes qui coulent des joues des Thaïlandais quand le roi apparaît à son balcon ou même lors d’une cérémonie royale dont le roi est absent répondent les cris fanatiques des partisans de Thaksin.
A la rigueur un leader traditionnel et un leader charismatique peuvent cohabiter. Cela s’est vu en Espagne par exemple durant la période de Franco ou durant de nombreuses phases de l’
histoire britannique. En revanche, la cohabitation entre deux leaders charismatiques est particulièrement malaisée, car la nature du charisme est d’opérer une sorte de “ravissement total” de la personnalité des partisans. Deux leaders de ce type en concurrence aboutissent souvent à une société profondément divisée et où la possibilité d’un dialogue rationnel entre les deux bords est limitée.
Les choses iraient-elles mieux si l’on retirait Thaksin de l’équation ? Momentanément sans doute, mais en dessous du conflit entre groupes de l’élite s’agitent des courants puissants poussant à l’évolution de la société thaïlandaise vers un modèle plus égalitaire et moins hiérarchisé. “Le problème est simple : nous avons été tenus sous le boisseau pendant très longtemps et nous ne voulons plus l’être”, dit Summitr, un chauffeur de taxi. Avec ou sans Thaksin, tôt ou tard, cette question de fond se reposera.
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Manifestations de rues, débats parlementaires, bruits de bottes et cliquetis d’armes, tout tourne autour de lui. Ce fait est notable car aucun Premier ministre depuis le maréchal Sarit Thanarath, mort en 1963, n’avait exercé une telle influence. Et même Sarit avait eu l’intelligence de se placer dans l’ombre du roi Bhumibol qui entamait alors son irrésistible ascension dans les consciences.
Car ce qui agace certains chez Thaksin, c’est qu’il n’a pas voulu être dans l’ombre du monarque. Il y avait le Roi et lui, mais pas le Roi tout seul.
Une confrontation inévitable
Le clash était inévitable car non seulement le monarque a, de part son dévouement couplé à une formidable machine de propagande, réussi à occuper l’essentiel de l’espace public depuis les années 60, mais il s’est constitué autour de lui un petit monde de courtisans, d’hommes d’affaires liés au Crown Property Bureau, de chambellans, d’aristocrates, de bureaucrates et d’officiers militaires d’active ou à la retraite qui dépendent de la perpétuation d’un système monarchique vénéré par la population – et échappant à toute critique grâce à la loi punissant le crime de lèse-majesté – pour le maintien de leurs bénéfices et privilèges.
Tout cela est connu, mais la nature de l’opposition entre le Roi et Thaksin a été rarement analysé en termes sociologiques. Lors de son discours d’anniversaire du 4 décembre 2002, le monarque avait, avec drôlerie, fustigé ce Premier ministre ambitieux, qui lui demandait d’être le “super-PDG” de la
Thaïlande et importait des économistes sud-américains pour révolutionner l’économie thaïlandaise.
L’opposition des personnalités était frappante entre l’homme d’affaires, plongé dans l’action, peu cultivé et peu scrupuleux, et Sa Majesté, homme de
culture et de réflexion, issu d’un autre âge. Si l’on reprend la typologie des types de leaders établi par Max Weber, on pourrait dire que le leadership du Roi est d’abord un leadership traditionnel, s’appuyant sur une très longue tradition de respect d’une lignée de dirigeants, choisis à l’origine, puis se succédant au sein d’une même famille.
Un leadership de type charismatique
Dans le cas du roi de Thaïlande, il s’y combine un leadership de type charismatique où la valeur du dirigeant ne vient pas d’un long passé familial, mais de la puissance de son aura dans le présent. Hitler, Mussolini ou De Gaulle étaient des leaders de ce type. Thaksin en fait aussi partie : aux larmes qui coulent des joues des Thaïlandais quand le roi apparaît à son balcon ou même lors d’une cérémonie royale dont le roi est absent répondent les cris fanatiques des partisans de Thaksin.
A la rigueur un leader traditionnel et un leader charismatique peuvent cohabiter. Cela s’est vu en Espagne par exemple durant la période de Franco ou durant de nombreuses phases de l’
histoire britannique. En revanche, la cohabitation entre deux leaders charismatiques est particulièrement malaisée, car la nature du charisme est d’opérer une sorte de “ravissement total” de la personnalité des partisans. Deux leaders de ce type en concurrence aboutissent souvent à une société profondément divisée et où la possibilité d’un dialogue rationnel entre les deux bords est limitée.
Les choses iraient-elles mieux si l’on retirait Thaksin de l’équation ? Momentanément sans doute, mais en dessous du conflit entre groupes de l’élite s’agitent des courants puissants poussant à l’évolution de la société thaïlandaise vers un modèle plus égalitaire et moins hiérarchisé. “Le problème est simple : nous avons été tenus sous le boisseau pendant très longtemps et nous ne voulons plus l’être”, dit Summitr, un chauffeur de taxi. Avec ou sans Thaksin, tôt ou tard, cette question de fond se reposera.
Arnaud Dubus
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Shinawatra, force est de constater un fait : cet ex-officier de police devenu
homme d’affaires puis converti à la politique est au coeur des passions
nationales depuis maintenant quinze ans.
Manifestations de rues, débats parlementaires,
bruits de bottes et cliquetis d’armes, tout tourne autour de lui. Ce fait est
notable car aucun Premier ministre depuis le maréchal Sarit Thanarath, mort en
1963, n’avait exercé une telle influence. Et même Sarit avait eu l’intelligence
de se placer dans l’ombre du roi Bhumibol qui entamait alors son irrésistible
ascension dans les consciences.
Car ce qui agace certains chez Thaksin, c’est qu’il
n’a pas voulu être dans l’ombre du monarque. Il y avait le Roi et lui, mais pas
le Roi tout seul.
Le clash était inévitable car non seulement le
monarque a, de part son dévouement couplé à une formidable machine de
propagande, réussi à occuper l’essentiel de l’espace public depuis les années
60, mais il s’est constitué autour de lui un petit monde de courtisans,
d’hommes d’affaires liés au Crown Property Bureau, de chambellans,
d’aristocrates, de bureaucrates et d’officiers militaires d’active ou à la
retraite qui dépendent de la perpétuation d’un système monarchique vénéré par
la population – et échappant à toute critique grâce à la loi punissant le crime
de lèse-majesté – pour le maintien de leurs bénéfices et privilèges.
Tout cela est connu, mais la nature de l’opposition
entre le Roi et Thaksin a été rarement analysé en termes sociologiques. Lors de
son discours d’anniversaire du 4 décembre 2002, le monarque avait, avec
drôlerie, fustigé ce Premier ministre ambitieux, qui lui demandait d’être le
“super-PDG” de la Thaïlande et importait des économistes sud-américains pour
révolutionner l’économie thaïlandaise.
L’opposition des personnalités était frappante
entre l’homme d’affaires, plongé dans l’action, peu cultivé et peu scrupuleux,
et Sa Majesté, homme de culture et de réflexion, issu d’un autre âge. Si l’on reprend la
typologie des types de leaders établi par Max Weber, on pourrait dire que le
leadership du Roi est d’abord un leadership traditionnel, s’appuyant sur une
très longue tradition de respect d’une lignée de dirigeants, choisis à
l’origine, puis se succédant au sein d’une même famille.
Dans le cas du roi de Thaïlande, il s’y
combine un leadership de type charismatique où la valeur du dirigeant ne vient
pas d’un long passé familial, mais de la puissance de son aura dans le présent.
Hitler, Mussolini ou De Gaulle étaient des leaders de ce type. Thaksin en fait
aussi partie : aux larmes qui coulent des joues des Thaïlandais quand le roi
apparaît à son balcon ou même lors d’une cérémonie royale dont le roi est
absent répondent les cris fanatiques des partisans de Thaksin.
A la rigueur un leader traditionnel et un leader
charismatique peuvent cohabiter. Cela s’est vu en Espagne par exemple durant la
période de Franco ou durant de nombreuses phases de l’histoire
britannique. En revanche, la cohabitation entre deux leaders charismatiques est
particulièrement malaisée, car la nature du charisme est d’opérer une sorte de
“ravissement total” de la personnalité des partisans. Deux leaders de ce type
en concurrence aboutissent souvent à une société profondément divisée et où la
possibilité d’un dialogue rationnel entre les deux bords est limitée.
Les choses iraient-elles mieux si l’on retirait
Thaksin de l’équation ? Momentanément sans doute, mais en dessous du conflit
entre groupes de l’élite s’agitent des courants puissants poussant à
l’évolution de la société thaïlandaise vers un modèle plus égalitaire et moins
hiérarchisé. “Le problème est simple : nous avons été tenus sous le boisseau
pendant très longtemps et nous ne voulons plus l’être”, dit Summitr, un
chauffeur de taxi. Avec ou sans Thaksin, tôt ou tard, cette question de fond se
reposera.
Arnaud Dubus