Thursday, April 24, 2014

La Thaïlande en quête d'elle-même



Politologues et sociologues diraient quelque chose dans le goût : « les quatre derniers mois de turbulences politiques attestent de faiblesses intrinsèques qui se cristallisent en dysfonctionnements patents de la structure socio-culturelle thaïlandaise ». Mais nous sommes des gens simples et nous nous bornerons à hasarder que, décidément, « quelque chose ne tourne pas rond au royaume du Siam ».

Prenons l’exemple de Thawil Pliensri. Ce haut-fonctionnaire a été très injustement retiré en 2011 de ses fonctions de secrétaire-général du Conseil national de sécurité, un organisme clé dans la stratégie sécuritaire du royaume, par le gouvernement de Yingluck Shinawatra, et, comme le dit la formule consacrée, « transféré à un poste inactif ». Il a été forcé de quitter ses fonctions pour faire place à un proche du gouvernement, qui lui-même avait dû quitter son propre poste…pour laisser place à un autre ténor encore plus proche du gouvernement. Thawil a intenté un recours judiciaire, qu’il vient de remporter le 7 mars après une longue bataille. Entretemps, il avait fait plusieurs interventions attaquant le gouvernement sur la scène du People’s Democratic Reforme Committee, le mouvement anti-gouvernemental qui réclame la démission de la première ministre Yingluck Shinawatra depuis le début novembre.

Et donc Thawil doit reprendre dans les prochains jours ses fonctions à la tête du Conseil national de sécurité, organisme étatique vital, pour travailler avec un gouvernement qu’il a vilipendé pendant des mois. Certains ministres ont indiqué qu’il allait être « difficile » de travailler de concert avec Thawil – remarque qui relève du simple bon sens.

Que voit-on ici de part et d’autre? Opportunisme, absence de sens de l’intérêt de l’Etat, confusion entre intérêts supérieurs du pays et intérêts personnels des cliques. Certes, vous me direz, quand on regarde du côté des autorités françaises, il n’y a pas de quoi se vanter non plus. Cela ne nous empêche pas toutefois de réfléchir à l’évolution de la société thaïlandaise.

Une enquête menée dans les années 1980 par la socio-psychologue Suntaree Komi a cherché à identifier ce qui forme le « caractère national thaï ». L’enquête a permis d’identifier neuf valeurs-clés. Celle à laquelle les Thaïlandais interrogés accordaient le plus de valeur étaient « l’orientation de l’ego » et la moins importante concernait « l’orientation vers la réalisation de tâches ». La faculté rapide d’adaptation à une situation donnée est incontestablement une qualité d’une partie significative des Thaïs. C’est une illustration un peu facile, mais il suffit de conduire quelque temps en Thaïlande pour toucher cette réalité du doigt.

Cela est une qualité, car sens de l’adaptation veut aussi dire absence de dogmatisme et de rigidité. Transposée en Thaïlande, la querelle du voile islamique dans les lieux publics (dont le port est interdit par la loi française, laïcité oblige) aurait entrainé des effets catastrophiques. Imagine-t-on les millions de femmes musulmanes du sud se voir interdire de porter le voile ? Les autorités thaïlandaises n’y ont jamais songé et tout se passe très bien.

Mais absence de dogmatisme peut aussi signifier absence de principes. Or, une nation devient solide et durable à partir du moment où elle est fondée sur un certain nombre de règles et de valeurs intangibles, nées d’un contexte historique et culturel, mais maintenues par une sorte de sens éthique au niveau du pays dans son ensemble. Ni plus ni moins qu’un contrat social. Dit plus simplement, il ne suffit pas d’un réseau de routes et de millions de voiture pour aboutir à une circulation efficace et harmonieuse ; il faut aussi un code de la route respecté par tous.

Or, qu’y a-t-il d’intangible en Thaïlande ? L’opportunisme s’est infiltré dans le système de justice jusqu’à le gangréner, hormis pour certaines cours, comme les tribunaux administratifs qui font généralement un travail exemplaire. Comment expliquer autrement que ce turbulent héritier de l’empire Red Bull, lequel a fauché il y a plus d’un an un policier un soir d’énervement, ait jusqu’à présent échappé au système judiciaire. Convoqué à de multiples reprises devant les tribunaux, il a été excusé par sa famille : en voyages d’affaires à Singapour, et victime d’un mauvais rhume de surcroît.

La neutralité de la bureaucratie n’existe guère non plus. Lors des élections du 2 février, nombre des bureaux de vote n’ont pas pu ouvrir car les fonctionnaires locaux n’ont pas effectué le travail pour lequel ils touchent pourtant un salaire mensuel. Tout simplement, car ils étaient favorables au mouvement anti-gouvernemental.

Seul le roi actuel, un homme d’une grande intelligence  et issu d’une double culture, européenne et thaïlandaise, a donné un sens de direction à une population naturellement individualiste. Il a su injecter un peu d’idéalisme dans le réalisme appréciable des Thaïlandais. Mais le roi n’est pas éternel. La longévité de son règne et la propagande massive orchestrée par les services du Palais sont eux-mêmes un facteur de fragilisation du pays.

Sur quoi donc refonder la nation thaïlandaise ? Des universitaires thaïlandais, comme par exemple, Kritaya Archavanitkul de l’université Mahidol, effectuent des recherches sur ce sujet depuis une dizaine d’années. La réponse ne peut se construire que petit à petit, en prenant pour base le principe simple, mais intangible que, comme le dit un personnage du film 12 years a slave, « ce qui est juste et vrai est juste et vrai pour tous ».

Arnaud Dubus

Le général bougon et le tango des coups d’Etat



« Tu veux ou tu veux pas ? ». Le chanteur Zanini aurait eu beau jeu de narguer l’actuel chef de l’armée de terre thaïlandaise, le général Prayuth Chan-ocha pour sa propension à dire tout et son contraire quant à la possibilité pour les militaires de prendre le pouvoir. Alors qu’il y a encore trois mois, le bouillant Prayuth tançait les journalistes qui le harcelaient de question à ce sujet, il s’est fait plus précis depuis la fin février, disant d’abord que « la porte n’était ni ouverte ni fermée » (pour un coup d’Etat), puis, au début de mars, qu’une « solution spéciale » pouvait être adoptée selon les circonstances pour régler la crise politique qui paralyse le royaume depuis début novembre.

Les observateurs de la politique thaïlandaise ont depuis longtemps appris qu’il ne faut guère écouter ce que disent les généraux, mais plutôt regarder ce qu’ils font. D’une certaine manière, nier à l’avance que l’on prépare un coup d’Etat participe de l’effet de surprise, comme l’avaient bien compris les généraux Suchinda Kraprayoon en 1992 et Sonthi Boonyaratklin en 2006.

Force est toutefois de constater que les prédictions les plus alarmistes sur Prayuth, affectueusement surnommé « le gros Tou » par la presse thaïlandaise – prédictions faites lors de sa nomination à la tête de l’armée en octobre 2010 -, ont été plutôt contredites par la suite des événements. Ce général pète-sec, donnant souvent l’impression de couver une colère rentrée contre son entourage, et que l’on disait « féroce opposant aux Chemises rouges (les partisans du gouvernement actuel de Yingluck Shinawatra et de son frère, l’ancien Premier ministre Thaksin) », s’est révélé à l’usage être plutôt moins porté à intervenir en politique que son prédecesseur Anupong Paochinda.

Poussé par le gouvernement d’Abhisit Vejjajiva, le général Anupong avait finalement envoyé ses troupes pour écraser la rébellion rouge en mai 2010. Dans les mois précédents, il était apparu régulièrement aux côtés d’Abhisit et du vice-Premier ministre Suthep Thaugsuban lors d’interventions officielles à la télévision. Rien de tel avec Prayuth, lequel s’est gardé d’afficher trop publiquement sa sympathie pour les forces conservatrices manifestant dans les rues sous la direction de Suthep. Certes, Prayuth a bien dit en novembre qu’il était « chagriné » de voir que la police tirait des grenades lacrymogènes contre les manifestants anti-gouvernementaux. Mais ces larmes n’ont pas débouché sur une contre-attaque.

Pourquoi cette réserve ? L’armée semble en effet suffisamment unie derrière Prayuth, lequel a placé ses camarades de la classe 12 de l’académie militaire préparatoire et du Queen’s Guard de Prachinburi aux postes clés de l’appareil militaire, pour qu’un coup d’Etat soit assuré d’un succès opérationnel. Peut-être, un signal envoyé par une instance supérieure a-t-il joué un rôle dans cette attitude prudente ? Le général a aussi été échaudé par la série de jugements prononcés par les tribunaux contre les militaires dans le cadre de la répression meurtrière d’avril-mai 2010. Il est sans doute trop pour dire que les militaires thaïlandais sont, une fois pour toutes, rentrés dans leurs casernes. Mais il n’en reste pas moins que dans une situation semblable – quatre mois de manifestations ininterrompues au cœur de la capitale, occupation des ministères, violences fréquentes et meurtrières – les « hommes en uniformes » seraient déjà intervenus sous une forme ou sous une autre dans le passé.

Arnaud Dubus

 

La Thaïlande vit une transition douloureuse


Une des étrangetés de la crise politique qui secoue la Thaïlande depuis novembre est l’absence totale de débats d’idées, de confrontation de « projets de société », en un mot d’échanges qui font appel à l’intelligence. On s’insulte, on s’entredéchire, voire on se mitraille allégrement, mais dès qu’il s’agit de débattre rationnellement, de proposer des solutions constructives, plus personne ne répond à l’appel. L’affrontement entre le People’s Democratic Reform Committee (PDRC), le mouvement anti-gouvernemental mené par le sulfureux ex-député du parti démocrate Suthep Thaugsuban, et le gouvernement de Yingluck Shinawatra, sœur cadette du non moins sulfureux Thaksin Shinawatra (premier ministre renversé par les militaires en 2006) s’est cristallisé en haines personnalisées, en rivalités de cours d’école. La médiocrité du monde politique thaïlandais laisse songeur.

Des universitaires thaïlandais et quelques anciens acteurs politiques aujourd’hui en semi-retraite, comme l’ancien secrétaire-général de l’ASEAN (Association des Nations d’Asie du Sud-Est) Surin Pitsuwan ou l’ex-ministre des Finances Somkid Jatusripitak, ont toutefois contribué des analyses pertinentes qui permettent de replacer cette poussée de fièvre dans un contexte historique long. Les analyses à cet égard sont risquées, car les comparaisons entre époques distanciées les unes des autres comportent forcément des simplifications.

Dans un discours remarqué le mois dernier, Somkid a rappelé que le dernier grand réformateur de la Thaïlande (ou plutôt du Siam, tel que le royaume s’appelait à l’époque) a été le roi Chulalongkorn, qui a régné de 1868 à 1910. Face aux anciens (hua boran) qui voulaient préserver à tout prix le « Vieux Siam », le jeune roi a, non sans difficultés réussit à transformer de fond en comble la manière dont le royaume était administré. D’un pays semi-féodal, ou les gouverneurs de province considéraient leur territoire comme un patrimoine personnel et quasi-héréditaire, Chulalongkorn a fait un royaume fondé sur une administration centralisée, tenue par des fonctionnaires nommés, non-natifs de la région qu’ils géraient et redevables au Palais royal – une réalisation qui a contribué à refroidir les ardeurs colonialistes des Anglais et des Français. Le Siam était devenu « une nation civilisée ».

Depuis cette « révolution administrative », bouclée dès la fin du règne de Chulalongkorn, la Thaïlande n’a pas subi de bouleversement structurel. Même le renversement de la monarchie absolue en 1932 a plus été un jeu de pouvoir entre groupes de l’élite qu’une transformation fondamentale. Or, le modèle thaïlandais est arrivé ces dernières années à bout de course. Le symbole et le symptôme en est le crépuscule d’un règne long et prestigieux, celui de Bhumibol Adulyadej, monté sur le trône en juin 1946 à la mort de son frère Ananda.

La crise d’identité à laquelle fait face à la Thaïlande est celle d’une transition douloureuse vers un nouveau type de société, dans laquelle une égalité mieux établie ferait reculer la traditionnelle culture de la soumission à l’autorité. Les trois piliers du nationalisme thaïlandais, tel que mis en place par le roi Vajiravudh (règne: 1910-1925) – Nation, Religion, Roi – sont en train de s’éroder. La notion abstraite, « imaginée » comme l’a écrit le politologue Benedict Anderson, de « Nation » est attaquée par des velléités régionalistes dans le Nord,  le Nord-Est et le Sud. La religion – qui signifie dans cette trilogie « Bouddhisme » - est minée par le commercialisme, la baisse des vocations et la soumission de la communauté monastique à l’Etat. La monarchie et le roi actuel, longtemps le lien entre les Thaïlandais de toutes les classes sociales, ont perdu de leur lustre ces dix dernières années, alors que leur image a été utilisée à outrance autant par les « Chemises jaunes » (partisans de l’establishment traditionnel) lors de leurs manifestations politiques que par les militaires dans leur campagne pour « conquérir les esprits et les cœurs » dans le sud à majorité musulmane. Une succession délicate ajoute encore aux incertitudes.

Il faut donc définir un nouveau modèle, fondé sur des valeurs et non plus sur des contingences historiques. La tâche est rude, car le système éducatif, fortement orienté vers l’endoctrinement, n’a guère préparé une large partie de la population à cela. Il n’y a pourtant aucun doute que les Thaïlandais, riches d’une culture populaire forte et généreuse, loin de la fade « culture » telle que définie par les bureaucrates, et d’un sens communautaire que n’a pas encore totalement détruit la vague puissante du consumérisme, sont capables de redéfinir leur société sur des bases nouvelles, qui lui permettront d’affronter avec confiance les défis de l’avenir.

Arnaud Dubus

Sunday, March 23, 2014

Chronique de Thaïlande : le Roi et lui

Quoique l’on puisse penser de l’attitude passée et présente de Thaksin Shinawatra, force est de constater un fait : cet ex-officier de police devenu homme d’affaires puis converti à la politique est au coeur des passions nationales depuis maintenant quinze ans.


Manifestations de rues, débats parlementaires, bruits de bottes et cliquetis d’armes, tout tourne autour de lui. Ce fait est notable car aucun Premier ministre depuis le maréchal Sarit Thanarath, mort en 1963, n’avait exercé une telle influence. Et même Sarit avait eu l’intelligence de se placer dans l’ombre du roi Bhumibol qui entamait alors son irrésistible ascension dans les consciences.
Car ce qui agace certains chez Thaksin, c’est qu’il n’a pas voulu être dans l’ombre du monarque. Il y avait le Roi et lui, mais pas le Roi tout seul.

Une confrontation inévitable

Le clash était inévitable car non seulement le monarque a, de part son dévouement couplé à une formidable machine de propagande, réussi à occuper l’essentiel de l’espace public depuis les années 60, mais il s’est constitué autour de lui un petit monde de courtisans, d’hommes d’affaires liés au Crown Property Bureau, de chambellans, d’aristocrates, de bureaucrates et d’officiers militaires d’active ou à la retraite qui dépendent de la perpétuation d’un système monarchique vénéré par la population – et échappant à toute critique grâce à la loi punissant le crime de lèse-majesté – pour le maintien de leurs bénéfices et privilèges.
Tout cela est connu, mais la nature de l’opposition entre le Roi et Thaksin a été rarement analysé en termes sociologiques. Lors de son discours d’anniversaire du 4 décembre 2002, le monarque avait, avec drôlerie, fustigé ce Premier ministre ambitieux, qui lui demandait d’être le “super-PDG” de la Thaïlande et importait des économistes sud-américains pour révolutionner l’économie thaïlandaise.

L’opposition des personnalités était frappante entre l’homme d’affaires, plongé dans l’action, peu cultivé et peu scrupuleux, et Sa Majesté, homme de culture et de réflexion, issu d’un autre âge. Si l’on reprend la typologie des types de leaders établi par Max Weber, on pourrait dire que le leadership du Roi est d’abord un leadership traditionnel, s’appuyant sur une très longue tradition de respect d’une lignée de dirigeants, choisis à l’origine, puis se succédant au sein d’une même famille.

 Un leadership de type charismatique

Dans le cas du roi de Thaïlande, il s’y combine un leadership de type charismatique où la valeur du dirigeant ne vient pas d’un long passé familial, mais de la puissance de son aura dans le présent. Hitler, Mussolini ou De Gaulle étaient des leaders de ce type. Thaksin en fait aussi partie : aux larmes qui coulent des joues des Thaïlandais quand le roi apparaît à son balcon ou même lors d’une cérémonie royale dont le roi est absent répondent les cris fanatiques des partisans de Thaksin.
A la rigueur un leader traditionnel et un leader charismatique peuvent cohabiter. Cela s’est vu en Espagne par exemple durant la période de Franco ou durant de nombreuses phases de l’histoire britannique. En revanche, la cohabitation entre deux leaders charismatiques est particulièrement malaisée, car la nature du charisme est d’opérer une sorte de “ravissement total” de la personnalité des partisans. Deux leaders de ce type en concurrence aboutissent souvent à une société profondément divisée et où la possibilité d’un dialogue rationnel entre les deux bords est limitée.
Les choses iraient-elles mieux si l’on retirait Thaksin de l’équation ? Momentanément sans doute, mais en dessous du conflit entre groupes de l’élite s’agitent des courants puissants poussant à l’évolution de la société thaïlandaise vers un modèle plus égalitaire et moins hiérarchisé. “Le problème est simple : nous avons été tenus sous le boisseau pendant très longtemps et nous ne voulons plus l’être”, dit Summitr, un chauffeur de taxi. Avec ou sans Thaksin, tôt ou tard, cette question de fond se reposera.
Arnaud Dubus

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Quoique l’on puisse penser de l’attitude passée et présente de Thaksin Shinawatra, force est de constater un fait : cet ex-officier de police devenu homme d’affaires puis converti à la politique est au coeur des passions nationales depuis maintenant quinze ans.


Manifestations de rues, débats parlementaires, bruits de bottes et cliquetis d’armes, tout tourne autour de lui. Ce fait est notable car aucun Premier ministre depuis le maréchal Sarit Thanarath, mort en 1963, n’avait exercé une telle influence. Et même Sarit avait eu l’intelligence de se placer dans l’ombre du roi Bhumibol qui entamait alors son irrésistible ascension dans les consciences.
Car ce qui agace certains chez Thaksin, c’est qu’il n’a pas voulu être dans l’ombre du monarque. Il y avait le Roi et lui, mais pas le Roi tout seul.

Une confrontation inévitable

Le clash était inévitable car non seulement le monarque a, de part son dévouement couplé à une formidable machine de propagande, réussi à occuper l’essentiel de l’espace public depuis les années 60, mais il s’est constitué autour de lui un petit monde de courtisans, d’hommes d’affaires liés au Crown Property Bureau, de chambellans, d’aristocrates, de bureaucrates et d’officiers militaires d’active ou à la retraite qui dépendent de la perpétuation d’un système monarchique vénéré par la population – et échappant à toute critique grâce à la loi punissant le crime de lèse-majesté – pour le maintien de leurs bénéfices et privilèges.
Tout cela est connu, mais la nature de l’opposition entre le Roi et Thaksin a été rarement analysé en termes sociologiques. Lors de son discours d’anniversaire du 4 décembre 2002, le monarque avait, avec drôlerie, fustigé ce Premier ministre ambitieux, qui lui demandait d’être le “super-PDG” de la Thaïlande et importait des économistes sud-américains pour révolutionner l’économie thaïlandaise.

L’opposition des personnalités était frappante entre l’homme d’affaires, plongé dans l’action, peu cultivé et peu scrupuleux, et Sa Majesté, homme de culture et de réflexion, issu d’un autre âge. Si l’on reprend la typologie des types de leaders établi par Max Weber, on pourrait dire que le leadership du Roi est d’abord un leadership traditionnel, s’appuyant sur une très longue tradition de respect d’une lignée de dirigeants, choisis à l’origine, puis se succédant au sein d’une même famille.

 Un leadership de type charismatique

Dans le cas du roi de Thaïlande, il s’y combine un leadership de type charismatique où la valeur du dirigeant ne vient pas d’un long passé familial, mais de la puissance de son aura dans le présent. Hitler, Mussolini ou De Gaulle étaient des leaders de ce type. Thaksin en fait aussi partie : aux larmes qui coulent des joues des Thaïlandais quand le roi apparaît à son balcon ou même lors d’une cérémonie royale dont le roi est absent répondent les cris fanatiques des partisans de Thaksin.
A la rigueur un leader traditionnel et un leader charismatique peuvent cohabiter. Cela s’est vu en Espagne par exemple durant la période de Franco ou durant de nombreuses phases de l’histoire britannique. En revanche, la cohabitation entre deux leaders charismatiques est particulièrement malaisée, car la nature du charisme est d’opérer une sorte de “ravissement total” de la personnalité des partisans. Deux leaders de ce type en concurrence aboutissent souvent à une société profondément divisée et où la possibilité d’un dialogue rationnel entre les deux bords est limitée.
Les choses iraient-elles mieux si l’on retirait Thaksin de l’équation ? Momentanément sans doute, mais en dessous du conflit entre groupes de l’élite s’agitent des courants puissants poussant à l’évolution de la société thaïlandaise vers un modèle plus égalitaire et moins hiérarchisé. “Le problème est simple : nous avons été tenus sous le boisseau pendant très longtemps et nous ne voulons plus l’être”, dit Summitr, un chauffeur de taxi. Avec ou sans Thaksin, tôt ou tard, cette question de fond se reposera.
Arnaud Dubus

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Quoique l’on puisse penser de l’attitude passée et présente de Thaksin Shinawatra, force est de constater un fait : cet ex-officier de police devenu homme d’affaires puis converti à la politique est au coeur des passions nationales depuis maintenant quinze ans.


Manifestations de rues, débats parlementaires, bruits de bottes et cliquetis d’armes, tout tourne autour de lui. Ce fait est notable car aucun Premier ministre depuis le maréchal Sarit Thanarath, mort en 1963, n’avait exercé une telle influence. Et même Sarit avait eu l’intelligence de se placer dans l’ombre du roi Bhumibol qui entamait alors son irrésistible ascension dans les consciences.
Car ce qui agace certains chez Thaksin, c’est qu’il n’a pas voulu être dans l’ombre du monarque. Il y avait le Roi et lui, mais pas le Roi tout seul.

Une confrontation inévitable

Le clash était inévitable car non seulement le monarque a, de part son dévouement couplé à une formidable machine de propagande, réussi à occuper l’essentiel de l’espace public depuis les années 60, mais il s’est constitué autour de lui un petit monde de courtisans, d’hommes d’affaires liés au Crown Property Bureau, de chambellans, d’aristocrates, de bureaucrates et d’officiers militaires d’active ou à la retraite qui dépendent de la perpétuation d’un système monarchique vénéré par la population – et échappant à toute critique grâce à la loi punissant le crime de lèse-majesté – pour le maintien de leurs bénéfices et privilèges.
Tout cela est connu, mais la nature de l’opposition entre le Roi et Thaksin a été rarement analysé en termes sociologiques. Lors de son discours d’anniversaire du 4 décembre 2002, le monarque avait, avec drôlerie, fustigé ce Premier ministre ambitieux, qui lui demandait d’être le “super-PDG” de la Thaïlande et importait des économistes sud-américains pour révolutionner l’économie thaïlandaise.

L’opposition des personnalités était frappante entre l’homme d’affaires, plongé dans l’action, peu cultivé et peu scrupuleux, et Sa Majesté, homme de culture et de réflexion, issu d’un autre âge. Si l’on reprend la typologie des types de leaders établi par Max Weber, on pourrait dire que le leadership du Roi est d’abord un leadership traditionnel, s’appuyant sur une très longue tradition de respect d’une lignée de dirigeants, choisis à l’origine, puis se succédant au sein d’une même famille.

 Un leadership de type charismatique

Dans le cas du roi de Thaïlande, il s’y combine un leadership de type charismatique où la valeur du dirigeant ne vient pas d’un long passé familial, mais de la puissance de son aura dans le présent. Hitler, Mussolini ou De Gaulle étaient des leaders de ce type. Thaksin en fait aussi partie : aux larmes qui coulent des joues des Thaïlandais quand le roi apparaît à son balcon ou même lors d’une cérémonie royale dont le roi est absent répondent les cris fanatiques des partisans de Thaksin.
A la rigueur un leader traditionnel et un leader charismatique peuvent cohabiter. Cela s’est vu en Espagne par exemple durant la période de Franco ou durant de nombreuses phases de l’histoire britannique. En revanche, la cohabitation entre deux leaders charismatiques est particulièrement malaisée, car la nature du charisme est d’opérer une sorte de “ravissement total” de la personnalité des partisans. Deux leaders de ce type en concurrence aboutissent souvent à une société profondément divisée et où la possibilité d’un dialogue rationnel entre les deux bords est limitée.
Les choses iraient-elles mieux si l’on retirait Thaksin de l’équation ? Momentanément sans doute, mais en dessous du conflit entre groupes de l’élite s’agitent des courants puissants poussant à l’évolution de la société thaïlandaise vers un modèle plus égalitaire et moins hiérarchisé. “Le problème est simple : nous avons été tenus sous le boisseau pendant très longtemps et nous ne voulons plus l’être”, dit Summitr, un chauffeur de taxi. Avec ou sans Thaksin, tôt ou tard, cette question de fond se reposera.
Arnaud Dubus

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Quoique l’on puisse penser de l’attitude passée et présente de Thaksin Shinawatra, force est de constater un fait : cet ex-officier de police devenu homme d’affaires puis converti à la politique est au coeur des passions nationales depuis maintenant quinze ans.


Manifestations de rues, débats parlementaires, bruits de bottes et cliquetis d’armes, tout tourne autour de lui. Ce fait est notable car aucun Premier ministre depuis le maréchal Sarit Thanarath, mort en 1963, n’avait exercé une telle influence. Et même Sarit avait eu l’intelligence de se placer dans l’ombre du roi Bhumibol qui entamait alors son irrésistible ascension dans les consciences.
Car ce qui agace certains chez Thaksin, c’est qu’il n’a pas voulu être dans l’ombre du monarque. Il y avait le Roi et lui, mais pas le Roi tout seul.

Une confrontation inévitable

Le clash était inévitable car non seulement le monarque a, de part son dévouement couplé à une formidable machine de propagande, réussi à occuper l’essentiel de l’espace public depuis les années 60, mais il s’est constitué autour de lui un petit monde de courtisans, d’hommes d’affaires liés au Crown Property Bureau, de chambellans, d’aristocrates, de bureaucrates et d’officiers militaires d’active ou à la retraite qui dépendent de la perpétuation d’un système monarchique vénéré par la population – et échappant à toute critique grâce à la loi punissant le crime de lèse-majesté – pour le maintien de leurs bénéfices et privilèges.
Tout cela est connu, mais la nature de l’opposition entre le Roi et Thaksin a été rarement analysé en termes sociologiques. Lors de son discours d’anniversaire du 4 décembre 2002, le monarque avait, avec drôlerie, fustigé ce Premier ministre ambitieux, qui lui demandait d’être le “super-PDG” de la Thaïlande et importait des économistes sud-américains pour révolutionner l’économie thaïlandaise.

L’opposition des personnalités était frappante entre l’homme d’affaires, plongé dans l’action, peu cultivé et peu scrupuleux, et Sa Majesté, homme de culture et de réflexion, issu d’un autre âge. Si l’on reprend la typologie des types de leaders établi par Max Weber, on pourrait dire que le leadership du Roi est d’abord un leadership traditionnel, s’appuyant sur une très longue tradition de respect d’une lignée de dirigeants, choisis à l’origine, puis se succédant au sein d’une même famille.

 Un leadership de type charismatique

Dans le cas du roi de Thaïlande, il s’y combine un leadership de type charismatique où la valeur du dirigeant ne vient pas d’un long passé familial, mais de la puissance de son aura dans le présent. Hitler, Mussolini ou De Gaulle étaient des leaders de ce type. Thaksin en fait aussi partie : aux larmes qui coulent des joues des Thaïlandais quand le roi apparaît à son balcon ou même lors d’une cérémonie royale dont le roi est absent répondent les cris fanatiques des partisans de Thaksin.
A la rigueur un leader traditionnel et un leader charismatique peuvent cohabiter. Cela s’est vu en Espagne par exemple durant la période de Franco ou durant de nombreuses phases de l’histoire britannique. En revanche, la cohabitation entre deux leaders charismatiques est particulièrement malaisée, car la nature du charisme est d’opérer une sorte de “ravissement total” de la personnalité des partisans. Deux leaders de ce type en concurrence aboutissent souvent à une société profondément divisée et où la possibilité d’un dialogue rationnel entre les deux bords est limitée.
Les choses iraient-elles mieux si l’on retirait Thaksin de l’équation ? Momentanément sans doute, mais en dessous du conflit entre groupes de l’élite s’agitent des courants puissants poussant à l’évolution de la société thaïlandaise vers un modèle plus égalitaire et moins hiérarchisé. “Le problème est simple : nous avons été tenus sous le boisseau pendant très longtemps et nous ne voulons plus l’être”, dit Summitr, un chauffeur de taxi. Avec ou sans Thaksin, tôt ou tard, cette question de fond se reposera.
Arnaud Dubus

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Quoique l’on puisse penser de l’attitude passée et présente de Thaksin Shinawatra, force est de constater un fait : cet ex-officier de police devenu homme d’affaires puis converti à la politique est au coeur des passions nationales depuis maintenant quinze ans.


Manifestations de rues, débats parlementaires, bruits de bottes et cliquetis d’armes, tout tourne autour de lui. Ce fait est notable car aucun Premier ministre depuis le maréchal Sarit Thanarath, mort en 1963, n’avait exercé une telle influence. Et même Sarit avait eu l’intelligence de se placer dans l’ombre du roi Bhumibol qui entamait alors son irrésistible ascension dans les consciences.
Car ce qui agace certains chez Thaksin, c’est qu’il n’a pas voulu être dans l’ombre du monarque. Il y avait le Roi et lui, mais pas le Roi tout seul.

Une confrontation inévitable

Le clash était inévitable car non seulement le monarque a, de part son dévouement couplé à une formidable machine de propagande, réussi à occuper l’essentiel de l’espace public depuis les années 60, mais il s’est constitué autour de lui un petit monde de courtisans, d’hommes d’affaires liés au Crown Property Bureau, de chambellans, d’aristocrates, de bureaucrates et d’officiers militaires d’active ou à la retraite qui dépendent de la perpétuation d’un système monarchique vénéré par la population – et échappant à toute critique grâce à la loi punissant le crime de lèse-majesté – pour le maintien de leurs bénéfices et privilèges.
Tout cela est connu, mais la nature de l’opposition entre le Roi et Thaksin a été rarement analysé en termes sociologiques. Lors de son discours d’anniversaire du 4 décembre 2002, le monarque avait, avec drôlerie, fustigé ce Premier ministre ambitieux, qui lui demandait d’être le “super-PDG” de la Thaïlande et importait des économistes sud-américains pour révolutionner l’économie thaïlandaise.

L’opposition des personnalités était frappante entre l’homme d’affaires, plongé dans l’action, peu cultivé et peu scrupuleux, et Sa Majesté, homme de culture et de réflexion, issu d’un autre âge. Si l’on reprend la typologie des types de leaders établi par Max Weber, on pourrait dire que le leadership du Roi est d’abord un leadership traditionnel, s’appuyant sur une très longue tradition de respect d’une lignée de dirigeants, choisis à l’origine, puis se succédant au sein d’une même famille.

 Un leadership de type charismatique

Dans le cas du roi de Thaïlande, il s’y combine un leadership de type charismatique où la valeur du dirigeant ne vient pas d’un long passé familial, mais de la puissance de son aura dans le présent. Hitler, Mussolini ou De Gaulle étaient des leaders de ce type. Thaksin en fait aussi partie : aux larmes qui coulent des joues des Thaïlandais quand le roi apparaît à son balcon ou même lors d’une cérémonie royale dont le roi est absent répondent les cris fanatiques des partisans de Thaksin.
A la rigueur un leader traditionnel et un leader charismatique peuvent cohabiter. Cela s’est vu en Espagne par exemple durant la période de Franco ou durant de nombreuses phases de l’histoire britannique. En revanche, la cohabitation entre deux leaders charismatiques est particulièrement malaisée, car la nature du charisme est d’opérer une sorte de “ravissement total” de la personnalité des partisans. Deux leaders de ce type en concurrence aboutissent souvent à une société profondément divisée et où la possibilité d’un dialogue rationnel entre les deux bords est limitée.
Les choses iraient-elles mieux si l’on retirait Thaksin de l’équation ? Momentanément sans doute, mais en dessous du conflit entre groupes de l’élite s’agitent des courants puissants poussant à l’évolution de la société thaïlandaise vers un modèle plus égalitaire et moins hiérarchisé. “Le problème est simple : nous avons été tenus sous le boisseau pendant très longtemps et nous ne voulons plus l’être”, dit Summitr, un chauffeur de taxi. Avec ou sans Thaksin, tôt ou tard, cette question de fond se reposera.
Arnaud Dubus

Read more at http://www.infoasie.net/analyse/26494-le-roi-et-lui.html#BadOI16d9HeMSWzh.99

Quoique l’on puisse penser de l’attitude passée et présente de Thaksin Shinawatra, force est de constater un fait : cet ex-officier de police devenu homme d’affaires puis converti à la politique est au coeur des passions nationales depuis maintenant quinze ans.


Manifestations de rues, débats parlementaires, bruits de bottes et cliquetis d’armes, tout tourne autour de lui. Ce fait est notable car aucun Premier ministre depuis le maréchal Sarit Thanarath, mort en 1963, n’avait exercé une telle influence. Et même Sarit avait eu l’intelligence de se placer dans l’ombre du roi Bhumibol qui entamait alors son irrésistible ascension dans les consciences.
Car ce qui agace certains chez Thaksin, c’est qu’il n’a pas voulu être dans l’ombre du monarque. Il y avait le Roi et lui, mais pas le Roi tout seul.

Une confrontation inévitable

Le clash était inévitable car non seulement le monarque a, de part son dévouement couplé à une formidable machine de propagande, réussi à occuper l’essentiel de l’espace public depuis les années 60, mais il s’est constitué autour de lui un petit monde de courtisans, d’hommes d’affaires liés au Crown Property Bureau, de chambellans, d’aristocrates, de bureaucrates et d’officiers militaires d’active ou à la retraite qui dépendent de la perpétuation d’un système monarchique vénéré par la population – et échappant à toute critique grâce à la loi punissant le crime de lèse-majesté – pour le maintien de leurs bénéfices et privilèges.
Tout cela est connu, mais la nature de l’opposition entre le Roi et Thaksin a été rarement analysé en termes sociologiques. Lors de son discours d’anniversaire du 4 décembre 2002, le monarque avait, avec drôlerie, fustigé ce Premier ministre ambitieux, qui lui demandait d’être le “super-PDG” de la Thaïlande et importait des économistes sud-américains pour révolutionner l’économie thaïlandaise.
L’opposition des personnalités était frappante entre l’homme d’affaires, plongé dans l’action, peu cultivé et peu scrupuleux, et Sa Majesté, homme de culture et de réflexion, issu d’un autre âge. Si l’on reprend la typologie des types de leaders établi par Max Weber, on pourrait dire que le leadership du Roi est d’abord un leadership traditionnel, s’appuyant sur une très longue tradition de respect d’une lignée de dirigeants, choisis à l’origine, puis se succédant au sein d’une même famille.

 Un leadership de type charismatique

Dans le cas du roi de Thaïlande, il s’y combine un leadership de type charismatique où la valeur du dirigeant ne vient pas d’un long passé familial, mais de la puissance de son aura dans le présent. Hitler, Mussolini ou De Gaulle étaient des leaders de ce type. Thaksin en fait aussi partie : aux larmes qui coulent des joues des Thaïlandais quand le roi apparaît à son balcon ou même lors d’une cérémonie royale dont le roi est absent répondent les cris fanatiques des partisans de Thaksin.
A la rigueur un leader traditionnel et un leader charismatique peuvent cohabiter. Cela s’est vu en Espagne par exemple durant la période de Franco ou durant de nombreuses phases de l’histoire britannique. En revanche, la cohabitation entre deux leaders charismatiques est particulièrement malaisée, car la nature du charisme est d’opérer une sorte de “ravissement total” de la personnalité des partisans. Deux leaders de ce type en concurrence aboutissent souvent à une société profondément divisée et où la possibilité d’un dialogue rationnel entre les deux bords est limitée.
Les choses iraient-elles mieux si l’on retirait Thaksin de l’équation ? Momentanément sans doute, mais en dessous du conflit entre groupes de l’élite s’agitent des courants puissants poussant à l’évolution de la société thaïlandaise vers un modèle plus égalitaire et moins hiérarchisé. “Le problème est simple : nous avons été tenus sous le boisseau pendant très longtemps et nous ne voulons plus l’être”, dit Summitr, un chauffeur de taxi. Avec ou sans Thaksin, tôt ou tard, cette question de fond se reposera.
Arnaud Dubus

Read more at http://www.infoasie.net/analyse/26494-le-roi-et-lui.html#BadOI16d9HeMSWzh.99
 
Quoique l’on puisse penser de l’attitude passée et présente de Thaksin Shinawatra, force est de constater un fait : cet ex-officier de police devenu homme d’affaires puis converti à la politique est au coeur des passions nationales depuis maintenant quinze ans.
Manifestations de rues, débats parlementaires, bruits de bottes et cliquetis d’armes, tout tourne autour de lui. Ce fait est notable car aucun Premier ministre depuis le maréchal Sarit Thanarath, mort en 1963, n’avait exercé une telle influence. Et même Sarit avait eu l’intelligence de se placer dans l’ombre du roi Bhumibol qui entamait alors son irrésistible ascension dans les consciences.
Car ce qui agace certains chez Thaksin, c’est qu’il n’a pas voulu être dans l’ombre du monarque. Il y avait le Roi et lui, mais pas le Roi tout seul.
Le clash était inévitable car non seulement le monarque a, de part son dévouement couplé à une formidable machine de propagande, réussi à occuper l’essentiel de l’espace public depuis les années 60, mais il s’est constitué autour de lui un petit monde de courtisans, d’hommes d’affaires liés au Crown Property Bureau, de chambellans, d’aristocrates, de bureaucrates et d’officiers militaires d’active ou à la retraite qui dépendent de la perpétuation d’un système monarchique vénéré par la population – et échappant à toute critique grâce à la loi punissant le crime de lèse-majesté – pour le maintien de leurs bénéfices et privilèges.
Tout cela est connu, mais la nature de l’opposition entre le Roi et Thaksin a été rarement analysé en termes sociologiques. Lors de son discours d’anniversaire du 4 décembre 2002, le monarque avait, avec drôlerie, fustigé ce Premier ministre ambitieux, qui lui demandait d’être le “super-PDG” de la Thaïlande et importait des économistes sud-américains pour révolutionner l’économie thaïlandaise.
L’opposition des personnalités était frappante entre l’homme d’affaires, plongé dans l’action, peu cultivé et peu scrupuleux, et Sa Majesté, homme de culture et de réflexion, issu d’un autre âge. Si l’on reprend la typologie des types de leaders établi par Max Weber, on pourrait dire que le leadership du Roi est d’abord un leadership traditionnel, s’appuyant sur une très longue tradition de respect d’une lignée de dirigeants, choisis à l’origine, puis se succédant au sein d’une même famille.
Dans le cas du roi de Thaïlande, il s’y combine un leadership de type charismatique où la valeur du dirigeant ne vient pas d’un long passé familial, mais de la puissance de son aura dans le présent. Hitler, Mussolini ou De Gaulle étaient des leaders de ce type. Thaksin en fait aussi partie : aux larmes qui coulent des joues des Thaïlandais quand le roi apparaît à son balcon ou même lors d’une cérémonie royale dont le roi est absent répondent les cris fanatiques des partisans de Thaksin.
A la rigueur un leader traditionnel et un leader charismatique peuvent cohabiter. Cela s’est vu en Espagne par exemple durant la période de Franco ou durant de nombreuses phases de l’histoire britannique. En revanche, la cohabitation entre deux leaders charismatiques est particulièrement malaisée, car la nature du charisme est d’opérer une sorte de “ravissement total” de la personnalité des partisans. Deux leaders de ce type en concurrence aboutissent souvent à une société profondément divisée et où la possibilité d’un dialogue rationnel entre les deux bords est limitée.
Les choses iraient-elles mieux si l’on retirait Thaksin de l’équation ? Momentanément sans doute, mais en dessous du conflit entre groupes de l’élite s’agitent des courants puissants poussant à l’évolution de la société thaïlandaise vers un modèle plus égalitaire et moins hiérarchisé. “Le problème est simple : nous avons été tenus sous le boisseau pendant très longtemps et nous ne voulons plus l’être”, dit Summitr, un chauffeur de taxi. Avec ou sans Thaksin, tôt ou tard, cette question de fond se reposera.
Arnaud Dubus