Comme dans tous les tribunaux du monde, le symbole de la balance de justice figure de manière éminente dans les tribunaux de Thaïlande. Généralement, cette balance est représentée sur le bureau derrière lequel les juges officient. Elle n’est toutefois pas tenue par la traditionnelle déesse aux yeux bandés - un aveuglement qui doit garantir l’impartialité des jugements. En revanche, bien au-dessus de la balance de justice, figure le portrait du roi actuel Bhumibol Adulyadej. Les deux plateaux de la balance de justice thaïlandaise sont-ils équilibrés ? La réponse est délicate, mais l’étude de deux cas précis peut aider la réflexion.
Dans le premier cas, l’avocat Somchai Neelapaijit disparaît en mars 2004, quelques jours après avoir accusé la police thaïlandaise d’avoir torturé plusieurs de ses clients, suspects d’actes de violence dans le sud à majorité musulmane. Son corps n’a jamais été retrouvé, mais des témoignages et les circonstances de sa disparition à Bangkok mènent les enquêteurs sur la piste de cinq policiers. Ceux-ci plaident non coupables, mais il s’avère que ces policiers ont échangé entre eux plusieurs dizaines de coups de téléphone le jour de l’enlèvement dans le quartier où les faits ont eu lieu et qu’ils ont à plusieurs reprises contacté Somchai. Des témoins reconnaissent formellement l’un des policiers comme un membre du groupe de cinq personnes ayant poussé Somchai de force dans sa voiture au moment de l’enlèvement.
Durant le procès, qui s’étale sur plusieurs années, la charge de la preuve conformément au droit thaïlandais pèse sur les accusateurs. Plusieurs témoins sont victimes d’intimidation. Les juges estiment que les relevés d’appels de téléphones portables ne peuvent pas servir de preuves. Quatre des policiers sont relaxés pour «manque de preuves» et un cinquième est condamné à trois années de prison. Libéré sous caution après avoir interjeté appel, il disparaît à jamais.
Dans le second cas, Ampol Tangnoppakul, un retraité âgé de 61 ans, est accusé d’avoir envoyé en mai 2010 quatre texto insultant envers la famille royale au secrétaire du Premier ministre de l’époque Abhisit Vejjajiva. Ampol plaide non coupable. Au cours du procès, la charge de la preuve est inexplicablement renversée : il appartient désormais à l’accusé de prouver qu’il n’a pas envoyé les texto et qu’il n’était pas en possession de son téléphone au moment des faits. La seule preuve de l’accusation s’appuie sur le numéro de téléphone portable d’où sont venus les texto, revenant sur la jurisprudence établie dans l’affaire Somchai. La question de savoir comment cet ancien chauffeur routier pouvait être en possession du numéro de téléphone portable du secrétaire du Premier ministre ne semble pas germer dans la tête des juges. Ampol, surnommé Oncle SMS par les médias, est condamné à 20 ans de prison. Il interjette appel. A huit reprises, sa demande de libération sous caution pour raisons de santé est rejetée. Il meurt d’un cancer du foie, le 8 mai dernier, à l’hôpital de la prison.
Peut-on conclure qu’il y a, dans le système judiciaire thaïlandais, deux poids deux mesures ? De manière plus réaliste, on pourrait hasarder que la définition de la « justice » est variable au gré des circonstances, de la position sociale des accusés et des accusateurs (leur «face»), du type de cas, des conséquences possibles de tel ou tel jugement. Les juges n’ont pas l’impression de délivrer une justice partiale, mais la « meilleure justice » adaptée à la situation. L’idée d’une justice inamovible, monolithique et imperturbable semble trop irréelle pour cadrer avec l’éthos pragmatique de nombreux Thaïlandais.
Max Constant (http://asie-info.fr)
Saturday, May 19, 2012
Sunday, May 13, 2012
Chronique siamoise : du rififi au parlement thaïlandais
La première réunion d’un Parlement thaïlandais s’est déroulée au début de 1933 sous les dômes de style baroque de la salle du trône Ananta Samakhom, que le roi Rama V avait fait construire initialement pour célébrer la gloire de la monarchie absolue. En 1974, il a été décidé qu’un Palais était trop luxueux pour les représentants du peuple : députés et sénateurs ont été déménagés dans des immeubles au design vaguement postmoderniste à quelques centaines de mètres de là. Il est maintenant question de les expédier dans une banlieue éloignée. Entre ces deux dates, dix-sept constitutions se sont succédées les unes aux autres. La sacralité de la charte fondamentale et l’opinion des Thaïlandais vis-à-vis de leurs représentants ont dégringolé en proportion.
Chaque Parlement a ses excentricités. La drague des attachées parlementaires est un sport bien connu au Palais Bourbon. Les échanges de coups au sein du Parlement de Taiwan sont légendaires. Les députés (et ministres) thaïlandais ont toutefois produit des efforts considérables pour remonter en haut du listing des chambres de mauvaise réputation. Que le vice-Premier ministre Chalerm Yoobamrung, apparemment ivre, ait failli dégringoler les pas des escaliers de la chambre basse vient peut-être, comme il l’a affirmé, d’un problème de «déséquilibre dans les tympans auditifs». Qu’un député du Parti démocrate regarde des images érotiques sur son téléphone portable pendant les débats pourrait résulter de ce qu’il a reçu, à sa grande surprise, ces images d’un ami égrillard. Mais quand il est montré que des députés votent à la place de collègues en leur absence, on commence à avoir des doutes. Ceux-ci deviennent aigus en entendant un autre député crier à trois reprises «Heil Hitler !» en faisant le salut nazi au milieu d’une séance parlementaire. Sans doute, ce député avait-il été échaudé par le fait que le président de la chambre avait coupé son micro. Mais le parlementaire avait tout loisir de piocher dans le registre particulièrement riche et merveilleusement imagé des jurons thaïlandais (un exemple parmi d’autres : «Espèce de pénis décalotté rongé par les écureuils», qu’il est conseillé de tester auprès des gardes de sécurité du métro aérien de Bangkok).
La médiocrité de la classe politique thaïlandaise tient en partie à la primauté absolue des clans liés à un chef personnel sur les familles d’idées. Même si, ailleurs, les «principes» sont souvent un camouflage des intérêts bien compris, ils contribuent néanmoins à «élever le débat» intellectuellement. Mais en Thaïlande, les «idées» ou les théories n’ont guère droit de cité si elles n’aboutissent pas très vite et très concrètement à un résultat pratique.
L’expression thaïe len kan muang – jouer à la politique – pour désigner les activités politiques semble associer la vie démocratique à un soap opera où tout est pardonnable parce que personne ne le prend au sérieux. Sauf, bien sûr, les politiciens qui empochent les dividendes de ce casino national. Au final, les élections parlementaires semblent avant tout être une procédure formelle inévitable pour la prise du pouvoir par le chef d’un clan dominant. Ce qui se passe après au sein du Parlement n’est plus que divertissement télévisuel. Même la compétition pour l’acquisition des budgets provinciaux se déroule bien plus en coulisses que sur la scène. Ni Thaksin Shinawatra, quand il était Premier ministre, ni sa sœur cadette Yingluck , qui l’est actuellement, n’ont jugé d’ailleurs utile de donner le change en assistant régulièrement aux débats de la chambre basse, dont les pupitres sont le plus souvent désertés par ses honorables membres.
Max Constant (copyright : http://asie-info.fr)
Chaque Parlement a ses excentricités. La drague des attachées parlementaires est un sport bien connu au Palais Bourbon. Les échanges de coups au sein du Parlement de Taiwan sont légendaires. Les députés (et ministres) thaïlandais ont toutefois produit des efforts considérables pour remonter en haut du listing des chambres de mauvaise réputation. Que le vice-Premier ministre Chalerm Yoobamrung, apparemment ivre, ait failli dégringoler les pas des escaliers de la chambre basse vient peut-être, comme il l’a affirmé, d’un problème de «déséquilibre dans les tympans auditifs». Qu’un député du Parti démocrate regarde des images érotiques sur son téléphone portable pendant les débats pourrait résulter de ce qu’il a reçu, à sa grande surprise, ces images d’un ami égrillard. Mais quand il est montré que des députés votent à la place de collègues en leur absence, on commence à avoir des doutes. Ceux-ci deviennent aigus en entendant un autre député crier à trois reprises «Heil Hitler !» en faisant le salut nazi au milieu d’une séance parlementaire. Sans doute, ce député avait-il été échaudé par le fait que le président de la chambre avait coupé son micro. Mais le parlementaire avait tout loisir de piocher dans le registre particulièrement riche et merveilleusement imagé des jurons thaïlandais (un exemple parmi d’autres : «Espèce de pénis décalotté rongé par les écureuils», qu’il est conseillé de tester auprès des gardes de sécurité du métro aérien de Bangkok).
La médiocrité de la classe politique thaïlandaise tient en partie à la primauté absolue des clans liés à un chef personnel sur les familles d’idées. Même si, ailleurs, les «principes» sont souvent un camouflage des intérêts bien compris, ils contribuent néanmoins à «élever le débat» intellectuellement. Mais en Thaïlande, les «idées» ou les théories n’ont guère droit de cité si elles n’aboutissent pas très vite et très concrètement à un résultat pratique.
L’expression thaïe len kan muang – jouer à la politique – pour désigner les activités politiques semble associer la vie démocratique à un soap opera où tout est pardonnable parce que personne ne le prend au sérieux. Sauf, bien sûr, les politiciens qui empochent les dividendes de ce casino national. Au final, les élections parlementaires semblent avant tout être une procédure formelle inévitable pour la prise du pouvoir par le chef d’un clan dominant. Ce qui se passe après au sein du Parlement n’est plus que divertissement télévisuel. Même la compétition pour l’acquisition des budgets provinciaux se déroule bien plus en coulisses que sur la scène. Ni Thaksin Shinawatra, quand il était Premier ministre, ni sa sœur cadette Yingluck , qui l’est actuellement, n’ont jugé d’ailleurs utile de donner le change en assistant régulièrement aux débats de la chambre basse, dont les pupitres sont le plus souvent désertés par ses honorables membres.
Max Constant (copyright : http://asie-info.fr)
Chronique siamoise : théâtre masqué à Bangkok
Le Ramakien, version siamoise du Ramayana indien, est un ballet codifié où costumes et gestuelle suivent des règles strictes et immuables. Chaque élément du costume a une signification. Chaque posture exprime une attitude. Point n’est besoin de paroles, même si les déclamations du prince Rama ou de Tosakhan, le roi des démons, emplissent la salle du théâtre Chalermkrung. La chorégraphie soutenue par la musique traditionnelle d’un orchestre de cinq instruments, dont le ranad, série de planchettes reliées entre elles et que l’on frappe à l’aide de deux baguettes, suffit, d’autant que l’audience connait à peu près l’intrigue d’avance (les scènes représentées sont expliquées dans le programme).
Le ballet auquel ont participé le président du Conseil privé du roi, Prem Tinsulanonda, et la cheffe du gouvernement Yingluck Shinawatra entourée de ministres choisis a, de la même façon, suivi un script préparé à l’avance : on n’entre pas sur scène pour improviser. Les couleurs d’abord. Le rose pour l’équipe gouvernementale, avec Yingluck vêtue d’un élégant tailleur rose pastel. Les vice-Premier ministres Yongyuth Wichaidit et Kittirat na Ranong, eux aussi arborent cette couleur bénigne, mais dans un ton un peu plus vif. Quant au ministre de la Défense Yutthasak Sasiphrapa qui avait dû perdre le programme, il s’est avancé en uniforme blanc. Le rose est une des couleurs associées avec le roi Bhumibol Adulyadej. Du côté du général Prem, une « chemise Prem » en soie d’un orange un peu criard : l’orange est la couleur du jeudi selon le calendrier astrologique thaï, jour où a eu lieu la rencontre. Si la rencontre avait eu lieu un dimanche ou un lundi, rouge et jaune auraient été de rigueur. Ce qui aurait fait désordre.
La gestuelle ensuite. Yingluck, redevenue la sage étudiante de Chiang Mai, mains respectueusement jointes à hauteur de la taille, paumes vers le haut, courbée légèrement vers l’avant comme une dévote devant la Vierge. Le regard est fixé sur l’hôte, empreint de soumission. Le général nonagénaire dans son costume fruité pavoise sur le seuil, le buste droit. Il dispense ses oracles et ses conseils. Son regard ne porte pas sur ses interlocuteurs mais se perd au loin, fixé, sans doute, sur l’avenir de la Nation, la grandeur de la Monarchie. Le wai de Yingluck est une splendeur, laquelle résulte d’une longue habitude des bienséances ; il fait montre d’une maîtrise corporelle parfaite.
Par contraste, cet épisode en rappelle un autre de l’interminable épopée qu’est la lutte pour le pouvoir politique en Thaïlande. C’était un peu avant l’inauguration du pont Rama VIII enjambant le fleuve Chao Phraya en mai 2002. Le roi Bhumibol visitait pour la première fois le pont accompagné du Premier ministre de l’époque Thaksin Shinawatra et de Samak Sundaravej, alors gouverneur de Bangkok. Au milieu du pont, le monarque, en costume de ville, s’adressait au gouverneur de Bangkok, héritier d’une vieille famille noble, et à ses adjoints. Derrière cette haie d’uniformes blanc, Thaksin, alors au pouvoir depuis un an et quelques mois, se haussait sur la pointe des pieds avec un sourire crispé pour être aperçu du souverain. L’image, là encore, était parlante, le commentaire superflu. Peut-on imaginer Tosakhan-Thaksin, s’humilier devant le vieil ermite Prem ? Rien n’est absolument exclu, mais le risque serait peut-être que les spectateurs perdent le fil du scénario.
Max Constant (copyright : http://asie-info.fr)
Le ballet auquel ont participé le président du Conseil privé du roi, Prem Tinsulanonda, et la cheffe du gouvernement Yingluck Shinawatra entourée de ministres choisis a, de la même façon, suivi un script préparé à l’avance : on n’entre pas sur scène pour improviser. Les couleurs d’abord. Le rose pour l’équipe gouvernementale, avec Yingluck vêtue d’un élégant tailleur rose pastel. Les vice-Premier ministres Yongyuth Wichaidit et Kittirat na Ranong, eux aussi arborent cette couleur bénigne, mais dans un ton un peu plus vif. Quant au ministre de la Défense Yutthasak Sasiphrapa qui avait dû perdre le programme, il s’est avancé en uniforme blanc. Le rose est une des couleurs associées avec le roi Bhumibol Adulyadej. Du côté du général Prem, une « chemise Prem » en soie d’un orange un peu criard : l’orange est la couleur du jeudi selon le calendrier astrologique thaï, jour où a eu lieu la rencontre. Si la rencontre avait eu lieu un dimanche ou un lundi, rouge et jaune auraient été de rigueur. Ce qui aurait fait désordre.
La gestuelle ensuite. Yingluck, redevenue la sage étudiante de Chiang Mai, mains respectueusement jointes à hauteur de la taille, paumes vers le haut, courbée légèrement vers l’avant comme une dévote devant la Vierge. Le regard est fixé sur l’hôte, empreint de soumission. Le général nonagénaire dans son costume fruité pavoise sur le seuil, le buste droit. Il dispense ses oracles et ses conseils. Son regard ne porte pas sur ses interlocuteurs mais se perd au loin, fixé, sans doute, sur l’avenir de la Nation, la grandeur de la Monarchie. Le wai de Yingluck est une splendeur, laquelle résulte d’une longue habitude des bienséances ; il fait montre d’une maîtrise corporelle parfaite.
Par contraste, cet épisode en rappelle un autre de l’interminable épopée qu’est la lutte pour le pouvoir politique en Thaïlande. C’était un peu avant l’inauguration du pont Rama VIII enjambant le fleuve Chao Phraya en mai 2002. Le roi Bhumibol visitait pour la première fois le pont accompagné du Premier ministre de l’époque Thaksin Shinawatra et de Samak Sundaravej, alors gouverneur de Bangkok. Au milieu du pont, le monarque, en costume de ville, s’adressait au gouverneur de Bangkok, héritier d’une vieille famille noble, et à ses adjoints. Derrière cette haie d’uniformes blanc, Thaksin, alors au pouvoir depuis un an et quelques mois, se haussait sur la pointe des pieds avec un sourire crispé pour être aperçu du souverain. L’image, là encore, était parlante, le commentaire superflu. Peut-on imaginer Tosakhan-Thaksin, s’humilier devant le vieil ermite Prem ? Rien n’est absolument exclu, mais le risque serait peut-être que les spectateurs perdent le fil du scénario.
Max Constant (copyright : http://asie-info.fr)
Chronique siamoise : unité, solidarité ou uniformité
Pour justifier sa décision début avril d’interdire la projection du film « Shakespeare doit mourir » d’Ing Kanjanavanit en Thaïlande, le bureau thaïlandais de la censure a estimé que la diffusion de cette œuvre, un remake de MacBeth à la sauce siamoise, accroitrait les divisions entre Thaïlandais et saperait l’unité du pays. Cette notion d’unité a été maintes fois invoquée par les autorités depuis le coup d’Etat de septembre 2006, et même avant, pour expliquer la nécessité de mesures répressives contre la liberté d’expression. Ce concept d’unité s’exprime par le mot sammaki, dont une traduction plus exacte est « solidarité » ; il est présenté comme une donnée évidente et intangible du pays.
Pourtant quand on se tourne vers l’histoire, cette notion d’unité paraît absente. Regardez le film « Suriyothai » de M. C. Chatrichalerm et vous y verrez, six heures durant, des princes et des courtisanes des principautés du Siam s’entredéchirer dans des luttes sanglantes, se repaître d’assassinats vicieux et porter la trahison au sommet du génie politique. L’une des scènes les plus frappantes est celle d’un prince-enfant, enfoui dans un sac de velours rouge, dont la tête est cérémonieusement tranchée sur les ordres d’un de ses oncles. La vingtaine de coup d’Etats qui ont ponctué l’histoire de la Thaïlande depuis le renversement de la monarchie absolue en 1932 suggère aussi une fracturation extrême du paysage politique. Et si l’on se penche sur l’aspect social du pays, il est clair que le développement économique depuis les années 1970 a été beaucoup moins bien réparti qu’en Corée du Sud ou à Taiwan ; les classes moyennes urbaines ont grandement bénéficié, les ruraux des provinces ont stagné.
S’il est un ferment d’unité, c’est sans conteste la personne du roi Bhumibol Adulyadej. Le monarque est un lien entre toutes les classes, toutes les ethnies, le miroir qui reflète l’image de tout un chacun et rassure : « nous sommes donc bien solidaires ». D’où l’angoisse de l’après-Rama IX : que restera-t-il comme ciment de la nation ? La Thainess signifie différentes choses selon les milieux. Le consumérisme effréné, le culte de l’argent, le commercialisme envahissant qui dissout les vieilles valeurs communautaires ne peuvent servir de piliers à la nation. Et cette notion d’unité agitée par les autorités et l’establishment ne fait-elle pas plutôt référence à l’uniformité ? Les divisions dénoncées comme le mal menaçant ne sont-elles pas simplement la diversité de cultures, d’opinions et d’idées qui remuent la société thaïe ? Des esprits chagrins iront jusqu’à affirmer que ce repli constant sur une unité insaisissable est une manière d’imposer un « consensus », tolérable pour la majorité mais qui profite surtout à une minorité. Les idées, incontestablement, divisent la société, mais elles constituent aussi les matériaux qui servent à l’édification de valeurs communes.
Max Constant(copyright http://asie-info.fr)
Pourtant quand on se tourne vers l’histoire, cette notion d’unité paraît absente. Regardez le film « Suriyothai » de M. C. Chatrichalerm et vous y verrez, six heures durant, des princes et des courtisanes des principautés du Siam s’entredéchirer dans des luttes sanglantes, se repaître d’assassinats vicieux et porter la trahison au sommet du génie politique. L’une des scènes les plus frappantes est celle d’un prince-enfant, enfoui dans un sac de velours rouge, dont la tête est cérémonieusement tranchée sur les ordres d’un de ses oncles. La vingtaine de coup d’Etats qui ont ponctué l’histoire de la Thaïlande depuis le renversement de la monarchie absolue en 1932 suggère aussi une fracturation extrême du paysage politique. Et si l’on se penche sur l’aspect social du pays, il est clair que le développement économique depuis les années 1970 a été beaucoup moins bien réparti qu’en Corée du Sud ou à Taiwan ; les classes moyennes urbaines ont grandement bénéficié, les ruraux des provinces ont stagné.
S’il est un ferment d’unité, c’est sans conteste la personne du roi Bhumibol Adulyadej. Le monarque est un lien entre toutes les classes, toutes les ethnies, le miroir qui reflète l’image de tout un chacun et rassure : « nous sommes donc bien solidaires ». D’où l’angoisse de l’après-Rama IX : que restera-t-il comme ciment de la nation ? La Thainess signifie différentes choses selon les milieux. Le consumérisme effréné, le culte de l’argent, le commercialisme envahissant qui dissout les vieilles valeurs communautaires ne peuvent servir de piliers à la nation. Et cette notion d’unité agitée par les autorités et l’establishment ne fait-elle pas plutôt référence à l’uniformité ? Les divisions dénoncées comme le mal menaçant ne sont-elles pas simplement la diversité de cultures, d’opinions et d’idées qui remuent la société thaïe ? Des esprits chagrins iront jusqu’à affirmer que ce repli constant sur une unité insaisissable est une manière d’imposer un « consensus », tolérable pour la majorité mais qui profite surtout à une minorité. Les idées, incontestablement, divisent la société, mais elles constituent aussi les matériaux qui servent à l’édification de valeurs communes.
Max Constant(copyright http://asie-info.fr)
Thursday, May 10, 2012
Les bonzes Occidentaux en Thaïlande
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