Monday, January 23, 2012
Nouvelle donne politique en Birmanie
Pour sentir le vent de changement qui souffle sur la Birmanie, un coup d'oeil sur les étalages de vendeurs de journaux à même les trottoirs maculés de jus de bétel de Rangoon suffit. A la une des quotidiens et hebdomadaires en langue birmane, s'étalent des photos de Min Ko Naing, l'un des plus célèbres dissidents politiques du pays porté en triomphe sur les épaules de ses admirateurs le jour de sa libération le 13 janvier. D'autres affichent l'ex-Premier ministre Khin Nyunt, purgé en 2004 et lui aussi libéré à la mi-janvier, relâchant une colombe avec un large sourire. A côté, un calendrier 2012 présente une photo géante d'Aung San Suu Kyi, la principale figure du mouvement pro-démocratique. Même les matches du championnat anglais de football, dont les Birmans sont pourtant si friands, ont été éclipsés par la vague du renouveau politique. Il y a seulement six mois, la stricte censure auraient rendu impossible un tel traitement par la presse. Et puis, il y un je ne sais quoi dans l'air lumineux de la ville qui laisse percevoir qu'un glissement s'est produit : des visages plus souriants, des passants plus détendus, des entretiens organisés dans des lobbys d'hôtels qui auraient provoqué, autrefois, la fureur des services de renseignement et une grande frayeur chez l'interlocuteur birman. “Les gens sont plus "relax" depuis que nous ne sommes plus sous un gouvernement militaire. Avant, personne n'osait réagir quand un sergent ivre harcelait les villageois. Cela aussi a changé”, raconte une artiste.
Certes, il convient de ne pas céder à une quelconque euphorie : cinquante ans de dictature militaire ne s'efface pas d'un trait de plume. Un politicien d'opposition explique comment, au parlement, les députés hésitent à s'exprimer ouvertement, tant ils sont conditionnés par des habitudes de réserve. “Les gens n'ont pas encore de culture démocratique. Ils ne savent pas ce que sont les droits de l'Homme, les droit des citoyens. Si nous voulons développer notre pays, nous devons, avant tout, éduquer les gens en ce qui concerne les valeurs démocratiques”, explique Kaing Cho Moe, un ex-prisonnier politique libéré l'an dernier et originaire de l'Etat Rakhine, près de la frontière avec le Bangladesh.
Le paysage politique est en voie de transformation. L'éternel face à face entre la Ligue nationale pour la Démocratie, le parti d'Aung San Suu Kyi, et les généraux est une image du passé. D'autres partis politiques d'opposition ont émergé et tentent de s'affirmer, même s'ils ne disposent que d'un faible nombre de sièges au parlement. Le rôle de “leader du mouvement pro-démocratique” d'Aung San Suu Kyi est contesté par certains. “Nous avons essayé de nous entendre avec la Ligue nationale pour la Démocratie, mais ils ne veulent pas nous reconnaître. Ils pensent qu'ils constituent à eux seuls les forces démocratiques”, estime Than Nyein, président du Front national démocratique, un parti né d'une scission au sein de la Ligue, laquelle avait boycotté les élections de 2010. Aung San Suu Kyi, qui porte ses 66 ans avec une grâce étonnante, va se présenter lors des élections partielles du 1er avril lors desquelles 48 sièges de la chambre basse seront mis en jeu. A ceux qui lui conseillent de ne pas se salir les mains avec la basse politique mais d'assumer plutôt une position de “Statewoman”, une sorte d'autorité morale, elle rétorque que personne ne doit faire exception au processus électoral. “Je pense que c'est une attitude très dangereuse de penser qu'un politicien quelqu'il soit est dans une position trop élevée pour être impliqué dans des activités parlementaires de base. Si vous croyez dans la démocratie représentative, vous devez travailler au travers du parlement”, dit-elle.
Du côté des autorités, le schéma simpliste d'un bloc monolithique ne tient plus. Le président du gouvernement civil Thein Sein, dont tout le monde semble reconnaître la probité, acquiert un début de popularité bien qu'il soit un ancien général et qu'il ait été placé à son poste par l'ancien chef de la junte Than Shwe. Devant la prison d'Insein, lorsque des dizaines de prisonniers politiques étaient libérés à la mi-janvier, certains militants pro-démocratiques criaient “longue vie au président Thein Sein !”. “Il pensait à ce programme de réforme depuis longtemps, mais il devait attendre le moment opportun. Quand l'opportunité s'est présentée, il était prêt”, indique Khin Zaw Win, un analyste politique. La position de Thein Sein restait fragile jusqu'au début de l'été : les réformes affectent de nombreux officiers militaires tenants de la ligne dure ou proche des Chinois. A la mi-janvier dernier, un remaniement au sein des commandements militaires et un long voyage en Thaïlande du chef d'Etat-major laissent à penser qu'une tentative de coup d'Etat aurait été éventée. Mais chaque jour qui passe renforce le pouvoir du gouvernement civil et les visites de dignitaires étrangers qui se succèdent – les chefs de la diplomatie Hillary Clinton, William Hague et Alain Juppé et bientôt la chef de la diplomatie de l'union européenne Catherine Ashton – montrent que l'ouverture semble produire le résultat escompté : le rapprochement avec les pays occidentaux. A terme, le processus démocratique est sans doute irréversible. “Le point d'équilibre a été franchi”, dit Khin Zaw Win. Mais les retours provisoires en arrière, les blocages, ne sont pas à exclure. Thein Sein, atteint d'une maladie cardiaque, porte un pace-maker. “Le destin du pays dépend d'une petite boîte dans la poîtrine du président”, dit une analyste politique australienne à Rangoon.
Arnaud Dubus
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