Il y a dix ans, le petit groupe de scientifiques thaïlandais de l’université Mahidol qui travaille à la mise au point d’un vaccin contre la dengue hémorragique pensait toucher au but. « Dans deux ou trois ans », disait alors le professeur Nath Bhamarapravati, l’un des experts mondiaux de la dengue. Ce vaccin contre une maladie transmise par le moustique Aedes Aegypti et qui infecte des centaines de milliers d’enfants chaque année en Asie du Sud-Est avec un taux de mortalité de 1 % aurait été le premier vaccin réalisé par un pays en voie de développement. Mais aujourd’hui, la longue quête d’un vaccin contre la dengue, entamée en 1980, s’éternise, entravée par des obstacles techniques et des régles internationales de plus en plus strictes. « Ce n’est pas facile pour moi. On me demande : Dr Suthi, est ce que vous dormez ? », confie Suthi Yoksan, le biologiste qui a pris la tête de l’équipe de recherche après le décès, il y a un an, du professeur Nath.
La dengue hémorragique, il est vrai, est un virus des plus versatiles et l’expertise des scientifiques thaïlandais n’est pas en cause. « L’idée géniale du professeur Nath était d’utiliser des souches sauvages, prendre une souche naturelle et la transformer », explique Jean-Paul Gonzalez, virologiste à l’Institut de Recherche pour le Développement. Au début des années 1980, Nath, travaillant étroitement avec l’Organisation Mondiale de la Santé, a isolé quatre souches différentes de dengue hémorragique et les a atténuées en les cultivant dans des cellules prélevées sur des reins de chiens. Il les a ensuite utilisées pour mettre au point quatre vaccins monovalents (qui agisse contre un des types de dengue hémorragique) puis les a combiné en un vaccin tétravalent (efficace contre les quatre souches virales) dont il a testé la non-toxicité et l’efficacité sur les adultes et les enfants.
En janvier 1992, Pasteur Mérieux (aujourd’hui Sanofi Pasteur) passe un accord avec l’équipe de Mahidol pour développer des lots pilotes à Lyon afin de vérifier que le vaccin reste stable lors d’une production industrielle. Tout semblait sur les rails. Puis les problèmes se sont accumulés : la découverte qu’un des vaccins monovalents – celui contre la dengue 3 – donne de la fièvre à certains enfants, l’adoption d’une méthodologie erronée pour résoudre ces effets secondaires… En 1999, le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) du gouvernement américain enfonce le clou en publiant un communiqué sur les effets secondaires du vaccin pour la dengue 3. « On en était à une phase très avancée du projet. Il y a eu un coup de frein terrible », indique Jean-Paul Gonzalez.
Entre-temps, des firmes américaines et européennes ont commencé à développer leur propre vaccin. L’Institut de Technologie de Californie veut, ainsi, utiliser le vaccin contre la fièvre jaune comme support pour un vaccin contre la dengue. L’OMS a commencé à moins s’intéresser au projet thaïlandais. Sanofi Pasteur a du reprendre à zéro les essais pour la dengue 3, et les projets concurrents de vaccins ont regagné du terrain. Certains pensent que le nombre de vies qu’aurait pu sauver le vaccin prototype doit trop souvent céder la priorité au respect intangible des règles internationales. « Le vaccin de Nath n’est pas parfait, mais il protégerait. Une fièvre, c’est inacceptable dans notre Occident. Mais ici, c’est acceptable car on connaît les enjeux », estime Jean-Paul Gonzalez. De son côté, le chef du projet Suthi Yoksan estime les effets secondaires encore trop importants. Il pense que si le problème de fièvre est résolu d’ici à deux ans, le vaccin tétravalent pourrait être sur le marché aux environs de 2.010. Les enjeux économiques sont énormes : la dengue frappe toutes les classes sociales mais s’attaquent plus particulièrement aux enfants bien nourris qui sont peu habitués à vivre dans un environnement tropical, comme les enfants d’expatriés. Les militaires en mission en Amérique Latine ou en Asie sont aussi une clientèle toute désignée. De son vivant, le professeur Nath a toujours insisté sur le fait que le prix du vaccin doit pouvoir être abordable pour les pays en voie de développement, une condition qu’a acceptée dès le départ Sanofi Pasteur. En attendant, la recherche continue, laborieuse et sujette au « carcan » des règles sanitaires internationales. « Si Fidel Castro était dans ce pays, nous aurions déjà le vaccin », pense Suthi Yoksan.
Arnaud Dubus (Libération)
Sunday, September 04, 2005
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