Saturday, August 14, 2010
Journaliste tué en Thaïlande : Omerta d'Etat
La mort du photographe indépendant italien Fabio Polenghi tué par balles à Bangkok sera-t-elle un jour élucidée? Fabio Polenghi a été tué le 19 mai juste avant onze heures alors qu’il courait, avec d’autres journalistes et des Chemises rouges(manifestants antigouvernementaux), pour échapper à des tirs.
Ce jour là, les militaires, chargés par le gouvernement d’Abhisit Vejjajiva de «nettoyer» le quartier commercial de Bangkok occupé depuis près de deux mois par les Rouges, progressent sur l’avenue en tirant sur les manifestants armés de lance pierres et de cocktails molotov. Pendant sa course, Fabio est touché par une balle et s’effondre. Transporté par des collègues et des manifestants, il décède de sa blessure à l’hôpital. Deux jours après la mort de l’Italien, l’Institut de médecine légale de la police effectue une autopsie. Le lendemain, le corps est incinéré, en présence de sa sœur Isabella, de ses amis et de ses collègues. Trois mois plus tard, la police refuse toujours de rendre publique l’autopsie.
«L’enquête n’est pas terminée», explique le colonel Naras Savestanan, le numéro deux du Département des Enquêtes Spéciales (DSI), le FBI thaïlandais, lequel se dit incapable de répondre à des questions aussi cruciales que le type de balles retrouvées dans le corps de Fabio, l’angle et le lieu d’origine du tir. D’autres questions concerne le positionnement des tireurs d’élite de l’armée qui ont abattu plusieurs manifestants ce jour-là et celui des mystérieuses Chemises noires, le bras armé des Rouges. Mais là aussi, pas de réponse ou alors très vagues.
Qui a donc tué Fabio Polenghi ? Une enquête menée par des collègues et des amis de Fabio donne quelques éléments de réponse. Fabio a été tué par balles dans une zone ou les Chemises noires utilisaient essentiellement des grenades M. 79, lesquelles ont tué au moins un militaire et grièvement blessé le journaliste canadien Chandler Vandergrift, et des M. 16.
Le 19 mai, ces Chemises noires occupaient la station de métro aérien Rajdamri, à environ 425mètres de l’endroit ou Fabio a été tué (un M16 devient imprécis à partir de 100 mètres, sauf s’il est équipé de lunettes de visée). De leur côté, le 19 mai, vers onze heures du matin, les centaines de militaires déployés pour l’opération de nettoyage progressaient dans la partie sud de l’avenue Rajdamri et au travers du parc urbain Lumphini, qui couvre le flanc sud-est de l’avenue.
Parallèlement, des tireurs d’élite de l’armée, postés sur des bâtiments environnant Rajdamri, faisaient également feu sur les manifestants Rouges et les dizaines de journalistes occupant l’avenue. /«Il est plus probable que le journaliste ait été touché par les soldats sécurisant, au niveau du sol, l’avenue Rajdamri. Je ne vois pas pourquoi des tireurs d’élite le prendraient particulièrement pour cible»,/ estime un journaliste, expert des affaires militaires qui se trouvait avec les soldats quand ceux-ci remontaient l’avenue.
S’il est révélé un jour, le calibre de la balle qui a tué Fabio Polenghi n’est pas l’élément déterminant, car les Chemises noires et les militaires peuvent avoir utilisé des armes similaires. En revanche, le point d’entrée de la balle, la configuration de la blessure, la distance et l’angle de tir, qui pourraient donner des précisions sur l’origine du tir, sont primordiaux. En l’absence de ces données, il n’y aura pas de certitudes sur l’identité de ceux qui ont tué le journaliste italien.
Le DSI, chargé du dossier, ne pipe mot. Pourquoi ce département, considéré par les Rouges et certains médias, comme proche du Parti démocrate du Premier ministre Abhisit Vejjajiva, semble-t-il aussi embarrassé par ce cas qui a attiré l’attention des médias internationaux et des organisations de défense des droits des journalistes ? Publier la vérité sur les circonstances de la mort du photographe serait, apparemment, gênante pour le gouvernement et pour les militaires qui contrôlent en sous-main le pays.
Le général Anupong Paochinda, issu du 21ème régiment d’infanterie (Corps des gardes de la reine), est chef de l’armée de terre depuis 2007. Il a été nommé peu après le coup d’Etat de septembre 2006 qui a évincé l’ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra. Le 1er octobre prochain, le général Prayuth Chan-Ocha, frère d’armes d’Anupong et maître d’œuvre des opérations militaires du 10 avril et du 13 au 19 juin derniers – 90 morts dont les journalistes Hiroyuki Muramoto et Fabio Polenghi et au moins cinq militaires - prendra la succession de son mentor à la tête de l’armée de terre. Pendant sept ans, l’élite du Corps des gardes de la Reine aura donc le contrôle du poste le plus puissant des forces armées du pays. Du jamais vu dans l’histoire militaire du royaume et qui n’est pas sans exciter de féroces jalousies au sein du corps des officiers.
Arnaud Dubus (à Bangkok)
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